Document public
Titre : | Constatations relatives à la discrimination et à la violation de la liberté de religion d’une femme verbalisée pour avoir porté un voile islamique intégral : Yaker c. France |
Titre original: | Conclusions concernant la communication n° 2747/2016 |
Voir aussi : |
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Auteurs : | Comité des droits de l'homme (CCPR), ONU, Auteur ; Organisation des Nations unies (ONU), Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 17/07/2018 |
Numéro de décision ou d'affaire : | CCPR/C/123/D/2747/2016 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Mots-clés] Droit international [Mots-clés] Religion - Croyances [Mots-clés] Liberté de pensée, de conscience et de religion [Mots-clés] Islam [Mots-clés] Signe religieux [Mots-clés] Sécurité publique [Mots-clés] Contrôle d'identité [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Sexe |
Résumé : |
La requérante, musulmane portant un niquab, se plaint d'avoir été condamnée par une juridiction de proximité à une amende conventionnelle pour avoir porté en 2011, une tenue destinée à dissimuler le visage dans l'espace public.
En 2010, la France a adopté la loi n° 2010-1192 qui prévoit que nul ne peut porter, dans l'espace public, des vêtements destinés à dissimuler le visage. L'intéressée considère que l'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public prévue et sa condamnation prévue par la législation française portent une atteinte à ses droits garantis aux articles 18 et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle également saisie la Cour européenne des droits de l'homme mais sa requête a été déclarée irrecevable. Le Comité reconnaît qu'il est nécessaire pour les États, dans certains contextes, de pouvoir requérir que les individus montrent leur visage, ce qui pourrait notamment entraîner des obligations ponctuelles de découvrir leur visage dans des circonstances concrètes de risque à la sécurité ou à l'ordre publics ou à des fins d'identification. Or, la loi française ne se limite pas à de tels contextes, mais interdit d'une façon générale le port de certaines tenues couvrant le visage dans l'espace public à tout moment. Le Comité estime que la France n'a pas démontré comment le port du voile intégral représenterait en soi une menace à la sécurité ou à l'ordre publics justifiant pareille interdiction absolue, ni la moindre justification ou explication sur la question de savoir pourquoi il est interdit de couvrir son visage pour des raisons religieuses alors qu'il est permis de le faire pour d'autres raisons (sports, fêtes, manifestations artistiques ou traditionnelles). La France n'a pas non plus décrit l'existence d'un contexte spécifique ni donné d'exemple de menace concrète et significative à l'ordre et à la sécurité publics qui justifierait une telle interdiction générale du voile intégral. Et même si l’État pouvait démonter l'existence d'une telle menace en principe, il n'a pas démontré que l'interdiction prévue par la loi n° 2010-1192 est proportionnée à ce but, eu égard à son impact considérable sur la requérante en tant que femme qui porte le voile intégral. Enfin, la France n'a pas cherché à montrer que l'interdiction était la mesure moins restrictive nécessaire pour protéger la liberté de religion ou de conviction. Ensuite, le Comité reconnaît l'intérêt que peut avoir un État à promouvoir la sociabilité et le respect mutuel entre les individus, dans toute leur diversité, sur son territoire, et conçoit que la dissimulation du visage puisse être perçue comme un obstacle potentiel à cette interaction. Toutefois, le Comité souligne que le concept du "vivre ensemble" invoqué par la France est très vague et abstraite alors que les exceptions prévues au paragraphe 3 de l'article 18 du Pacte doivent être interprétées strictement et ne pas être appliquées abstraitement. Le Comité reproche à la France de ne pas avoir défini un droit fondamental ou une liberté concrète d'autrui qui seraient affectés par le fait que certaines personnes évoluent dans l'espace public avec visage couvert, notamment les femmes portant un voile intégral. Le Comité ajoute que le droit d'interagir avec n'importe quel individu dans l'espace public et le droit de ne pas être troublé par le port du voile intégral par d'autres personnes ne sont pas protégés par le Pacte et ne pourraient donc constituer des restrictions permissibles au sens du paragraphe 3 de l'article 18. De même, selon le Comité l'interdiction litigieuse a pour effet de marginaliser les femmes portant un voile intégral en les confinant chez elles et en leur fermant l'accès aux services publics. Le Comité conclut que la France n'a pas démontré que la restriction de la liberté de la requérante de manifester sa religion ou ses convictions en portant le niquab était nécessaire et proportionnée au sens du paragraphe 3 de l'article 18. En conséquence, l'interdiction introduite par la loi n° 2010-1192 et la condamnation de l'intéressée en application de cette loi pour le port de niquab ont violé les droits que la requérante tient de l'article 18 du Pacte mais également de l'article 26 du Pacte. En effet, le Comité estime que l'interdiction pénale introduite par cette loi affecte de façon disproportionnée la requérante en tant que femme musulmane qui choisit de porter le voile intégral, et introduit entre elle et les autres personnes qui couvrent parfois leur visage dans l'espace public de façon légale une distinction qui n'est ni nécessaire ni proportionnée à un intérêt légitime et qui est donc déraisonnable. Selon le Comité, cette loi et son application à la requérante constituent une forme de discrimination croisée basée sur le sexe et la religion en violation de l'article 26 du Pacte. La France est tenue d'assurer à la requérante un recours utile. Elle doit notamment accorder pleine réparation aux personnes dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En l'espèce, la France est tenue, en particulier, d'accorder à l'intéressée des mesures de satisfaction appropriées, y compris une indemnisation financière correspondant au préjudice subi. La France doit également veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas, y compris en réexaminant la loi n° 2010-1192 à la lumière des obligations découlant du Pacte. Le Comité souhaite recevoir de la France, dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État est également invité à rendre ces constatations publiques et à les diffuser largement. Les présentes constatations ont été adoptées par le Comité le 17 juillet 2018 et communiquées le 23 octobre 2018. |
Note de contenu : | La même jour, le Comité a adopté des conclusions identiques dans une affaire similaire (réclamation n° 2807/2016). |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Laïcité - Religion |
En ligne : | https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CCPR/C/123/D/2747/2016&Lang=en |
Documents numériques (1)
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