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Titre : | Arrêt relatif à la condamnation de la France en raison de l'impossibilité de reconnaître en droit français le lien de filiation paternelle des enfants nés d'une mère porteuse à l'étranger : Labassee c. France |
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Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 26/06/2014 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 65941/11 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Géographie] Etats-Unis [Mots-clés] Bioéthique [Mots-clés] Gestation pour autrui (GPA) [Mots-clés] État civil [Mots-clés] Papiers d'identité [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Situation de famille [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Nationalité [Mots-clés] Succession [Mots-clés] Ordre public international [Mots-clés] Intérêt supérieur de l'enfant [Mots-clés] Filiation |
Résumé : |
L’affaire porte sur le refus des autorités françaises de transcrire les actes de naissances étrangers d’un enfant sur les registres de l’état civil français au motif qu’en France, il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes - principe essentiel du droit français - de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public.
L’enfant a été conçu grâce à une donneuse anonyme et né d’une mère porteuse en 2001. Conformément au contrat conclut avec la mère porteuse, homologué par le juge américain, l’acte de naissance de l’enfant mentionnait les époux français, dont le mari est le père biologique de l’enfant, père et mère de l’enfant. La transcription de cet acte de naissance sur les registres français a été refusée par le consulat. A leur retour en France, les époux ont obtenu du juge des tutelles françaises, en décembre 2003, un acte de notoriété constatant la possession d’état d’enfant légitime de la petite fille. Le ministère public a alors refusé l’inscription de cet acte sur les documents de l’état civil de l’enfant. En avril 2011, la Cour de cassation avait estimé que l’absence de transcription ne privait pas l’enfant de sa filiation paternelle et maternelle établie à l’étranger et ne l’empêchait pas de vivre avec ses parents en France. Elle avait conclu que cette situation ne porte pas atteinte au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, ni au respect du droit à la vie privée et familiale. Invoquant l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, les requérants se plaignent du fait qu’au détriment de l’intérêt supérieur de l’enfant, ils n’ont pas la possibilité d’obtenir en France la reconnaissance de la filiation légalement établie à l’étranger. Tout d’abord, elle considère que le refus des autorités françaises de reconnaître juridiquement le lien familial unissant les requérants s’analyse en une « ingérence » dans leur droit au respect de leur vie familiale. Celle-ci était « prévue par la loi » et visait des buts légitimes (la protection de la santé et la protection des droits et libertés d’autrui). Ensuite, après avoir relevé l’absence de consensus en Europe ni sur la légalité de la GPA ni sur la reconnaissance juridique du lien de filiation entre les parents d’intention et les enfants ainsi légalement conçus à l’étranger, la CEDH indique que les États jouissent donc d’une plus grande marge d’appréciation en la matière. Cependant, cela n’exclue pas le contrôle de la CEDH sur l’équilibre des intérêts en cause et il appartient à la Cour de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts de l’État et les individus. A cet égard, elle rappelle le principe essentiel selon lequel à chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer. La Cour distingue, en l’espèce, le droit des requérants au respect de leur vie familiale, d’une part, et le droit des enfants au respect de leur vie privée d’autre part. Concernant la vie familiale des requérants, la Cour juge qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 8 de la Convention. Les requérants n’établissant pas que les difficultés pratiques découlant de l’impossibilité d’obtenir en droit français la reconnaissance du lien de filiation ont été insurmontables et ne démontrent pas que l’impossibilité les empêche de bénéficier en France de leur droit au respect de leur vie familiale. Ce qu’a d’ailleurs retenu la Cour de cassation en estimant que les difficultés pratiques rencontrées par les requérants ne dépasseraient pas les limites qu’impose le respect de l’article 8 de la Convention. En conséquence, la Cour considère que la France a ménagé un juste équilibre entre les intérêts des requérants et ceux de l’État. Quant au respect de la vie privée des enfants, la Cour rappelle que celui-ci exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, y compris sa filiation. Or, en l’espèce, les enfants se trouvent dans une situation d’incertitude juridique puisque la France, sans ignorer que les enfants ont été identifiées comme étant les enfants des parents d’intention, leur nie néanmoins cette qualité dans son ordre juridique. La CEDH considère que pareille contradiction porte atteinte à leur identité au sein de la société française. Par ailleurs, même si l’article 8 ne garantit pas un droit d’acquérir une nationalité particulière, il n’en reste pas moins que la nationalité est un élément de l’identité des personnes. Or, la Cour relève que les jumelles sont confrontées à une troublante incertitude quant à la possibilité de se voir reconnaître la nationalité française conformément aux dispositions du droit français bien que leur père biologique soit français. De même, le fait que les enfants ne sont pas identifiées en France comme étant des enfants des parents d’intention, et notamment du père biologique, a des conséquences sur les droits de succession des enfants (ceux-ci étant considérés comme des « tiers » et sont donc traités moins favorablement). La Cour énonce qu’il est concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recourir à l’étranger à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire. Cependant les effets de la non reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants ainsi conçus et les parents d’intention ne se limitent pas à la situation de ce dernier, qui seuls ont fait le choix des modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises, ils portent aussi sur celle des enfants eux-mêmes. La filiation paternelle des enfants n’est pas reconnue en France même si le père d’intention est le père biologique des filles. Selon la Cour, au regard de l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun, on ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt d’un enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance. La Cour souligne aussi l’impossibilité d’établir le lien de filiation paternelle par voie de reconnaissance de paternité ou de l’adoption ou par l’effet de la possession d’état (deuxième affaire) en raison de la jurisprudence prohibitive de la Cour de cassation. La CEDH conclut que compte tenu des conséquences graves de cette restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée des enfants, qu’en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, la France est allée au-delà ce que lui permettait sa marge d’appréciation. La Cour ajoute, qu’étant aussi le poids qu’il y a lieu d’accorder à l’intérêt de l’enfant lorsqu’on procède à la balance des intérêts en présence, le droit des enfants au respect de leur vie privée a été méconnu. Enfin, compte tenu de cette conclusion, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner le grief tiré d’une violation à leur égard de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention. |
Note de contenu : | Le même jour, la CEDH s’est prononcé dans une affaire similaire (Mennesson c. France, requête n° 65192/11). |
ECLI : | CE:ECHR:2014:0626JUD006594111 |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng/?i=001-145180 |