Document public
Titre : | Constatations relatives à la violation du droit à la liberté de manifester sa religion et à la discrimination en raison de la religion et du genre dont a été victime une éducatrice d’une crèche associative en raison de son licenciement pour avoir refusé d’ôter son foulard islamique |
Accompagne : | |
Auteurs : | Comité des droits de l'homme (CCPR), ONU, Auteur ; Organisation des Nations unies (ONU), Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 16/07/2018 |
Numéro de décision ou d'affaire : | CCPR/C/123/D/2662/2015 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Emploi [Mots-clés] Emploi privé [Mots-clés] Conditions de travail [Mots-clés] Règlement intérieur [Mots-clés] Signe religieux [Mots-clés] Religion - Croyances [Mots-clés] Islam [Mots-clés] Laïcité [Mots-clés] Entreprise [Mots-clés] Accueil petite enfance [Mots-clés] Petite enfance [Géographie] France |
Résumé : |
La requérante, employée depuis 1991 au sein d’une crèche associative en qualité d’éducatrice de jeunes enfants exerçant les fonctions de directrice adjointe, a été licenciée le 19 décembre 2008 pour faute grave.
Absente pendant cinq ans en raison d’un congé maternité suivi d’un congé parental, la requérante, avertie qu’elle ne pourra désormais plus porter son voile, en vertu du nouveau règlement intérieur de l’établissement qui interdit le port de tout signe ostentatoire de religion, s’est présentée au retour de son congé dans les locaux de l’association revêtue d’un voile intégral. Après avoir refusé d’ôter le voile islamique qu’elle portait et après une mise à pied, l’intéressée est licenciée pour faute grave, en raison de l’insubordination et de la violation de ses obligations. S’estimant victime d’une discrimination au regard de ses convictions religieuses, l’intéressée a saisi le juge mais son licenciement a été confirmé tant en première instance qu’en appel. Le Défenseur des droits avait présenté ses observations devant le conseil de prud’hommes. Sur le pourvoi de la requérante, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel, au motif que la clause du règlement intérieur, instaurait une restriction générale et imprécise et ne répondait pas aux exigences de l’article L.1321-3 du code du travail qui énumère les dispositions interdites dans un règlement intérieur. Statuant sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Paris a également confirmé le licenciement pour faute grave, en se fondant sur la notion d’ « entreprise de conviction » selon laquelle une personne morale de droit privé qui assure une mission d’intérêt général peut, dans certaines circonstances, se doter de statuts et d’un règlement intérieur prévoyant une obligation de neutralité du personnel dans l’exercice de ses tâches, qui emporterait l'interdiction de porter tout signe religieux ostentatoire. La cour estime qu'en la formulation de l’obligation de neutralité est suffisamment précise pour être entendue comme d'application limitée aux activités d'éveil et d'accompagnement des enfants à l'intérieur et à l'extérieur des locaux professionnels, et exclut par conséquent les activités sans contact avec les enfants, notamment celles destinées à l'insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier. Statuant en formation plénière, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par l'intéressée. Tout en estimant que l’association ne pouvait être regardée comme une entreprise de conviction au regard de son objet social, elle a considéré que la cour d’appel pouvait déduire que la restriction à la liberté de manifester sa religion était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l’association et proportionnée au but recherché en appréciant de manière concrète les conditions de fonctionnement d’une association de dimension réduite, dont les 18 salariés étaient en relation directe avec les enfants et les parents. En juin 2015, l’intéressée a saisi le Comité des droits de l’homme en faisant valoir que les faits dont elle a été victime constituaient une violation de ses droits, d'une part en vertu de l'article 18 (liberté de religion) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que le licenciement pour faute grave, fondé sur le refus de retirer son foulard islamique, va à l'encontre de son droit à la liberté de manifester sa religion, et d'autre part de l'article 26 (principe de non-discrimination) du Pacte, en ce que ce licenciement reposait sur une clause du règlement intérieur touchant de manière spécialement désavantageuse et disproportionnée les femmes musulmanes faisant le choix de porter un foulard. Le Comité a été amené à examiner si la restriction à la liberté de l’auteure de manifester sa religion ou sa conviction (article 18, paragraphe 1) est conforme aux principes énoncés par le paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte, à savoir, être prévue par la loi et nécessaire pour la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui. Ces restrictions doivent être entendues de manière stricte et ne doivent être appliquées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire et proportionnelles à celui-ci. Le Comité prend note qu’aucun élément du dossier ne permet de conclure que le règlement n’aurait pas été adopté en accord avec la loi en vigueur et il ne peut être conclu que la restriction n’aurait pas été prévue par la loi. Ensuite, pour savoir si la restriction subie peut être considérée comme nécessaire à la protection de la sécurité, de l’ordre public et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui, le Comité observe que la France n’explique pas en quelles mesures le port du foulard serait incompatible avec la stabilité sociale et l’accueil promus au sein de la crèche. Il observe aussi que les arguments présentés par l’État partie n’expliquent pas en quoi le foulard serait incompatible avec le but de l’association gérant la crèche de « développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé, et en même temps d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier », d’autant plus que l’un des objectifs de l’association est de « permettre l’insertion économique, sociale et culturelle des femmes (...) sans distinction d’opinion politique ou confessionnelle ». Selon le Comité, l’insertion de la requérante, quelle que soit son opinion confessionnelle, s’inscrivait bien dans cet objectif. Enfin, le Comité considère que la France n’a pas apporté de justification suffisante qui permettrait de conclure que le port d’un foulard par une éducatrice de la crèche porterait atteinte aux libertés et droits fondamentaux des enfants et des parents la fréquentant. Quant à la proportionnalité de la mesure, le Comité considère qu’aucune information fournie par la France ne permet de conclure que l’interdiction du port du foulard dans les circonstances du cas d’espèce pouvait contribuer aux objectifs de la crèche, ou à ce qu’une communauté religieuse ne soit pas stigmatisée. Tout en rappelant que le port d’un foulard n’est pas en soi considéré comme constitutif d’un acte de prosélytisme, le Comité considère que la restriction établie par le règlement intérieur de la crèche et son application en l’espèce est disproportionnée par rapport à l’objectif recherché et constitue donc une atteinte à la liberté de religion de l’intéressée en violation de l’article 18 du Pacte. Enfin, quant à l’existence d’une discrimination, le Comité retient l’argument de l’intéressée selon lequel la restriction du règlement intérieur affectait de façon disproportionnée les femmes musulmanes faisant le choix de porter un foulard et constitue donc un traitement différencié. Il considère que la France n’a pas suffisamment étayé la façon dont le licenciement de l’intéressée en raison du port du voile avait un but légitime ou était proportionné à ce but. Il conclut donc que ce licenciement ne reposait pas sur un critère raisonnable et objectif et constitue donc une discrimination inter-sectionnelle basée sur le genre et la religion en violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité indique que la France doit indemniser l’intéressée de manière adéquate et de prendre des mesures de satisfaction appropriées, incluant une compensation pour la perte d’emploi sans indemnités et le remboursement de tout coût légal, ainsi que de toute perte non pécuniaire encourue par l’intéressée en raison des faits de l’espèce. Le Comité ajoute que la France est également tenue de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir des violations similaires à l’avenir. La France dispose d’un délai de 180 jours pour fournir au Comité des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constations. Enfin, la France est invitée à rendre publiques les présentes constatations. |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Emploi |
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