Document public
Titre : | Arrêt relatif au fait que le droit du public d'accéder aux informations archivées sur internet concernant la condamnation des requérants pour meurtre d'un acteur connu prévaut sur leur droit à l'oubli : M.L. et W.W. c. Allemagne |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 28/06/2018 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 60798/10 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Libertés publiques et individuelles [Mots-clés] Internet [Mots-clés] Technologies du numérique [Mots-clés] Absence d'atteinte à un droit/liberté [Mots-clés] Journaliste [Mots-clés] Infraction [Mots-clés] Données personnelles [Géographie] Allemagne |
Mots-clés: | droit à l'oubli |
Résumé : |
En 1993, les deux requérants, demi-frères, ont été reconnus coupables de l'assassinat d'un acteur très populaire et condamnés à une peine d'emprisonnement à perpétuité par les cours nationales. Ils ont été libérés avec mise à l'épreuve en août 2007 et janvier 2008.
L'affaire concerne le refus de la Cour fédérale de justice d'interdire à trois médias différents le maintien de l'accès à des dossiers de presse concernant la condamnation des requérants et qui mentionnent leurs noms complets. Invoquant l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, les requérants se plaignaient du refus de la Cour fédérale de justice d'interdire aux médias assignés de maintenir sur leur portail internet la transcription d'une émission de radio et les reportages écris de deux journaux concernant le procès pénal et leur condamnation pour assassinat. Ils alléguaient une atteinte à leur droit au respect de leur vie privée. La Cour européenne des droits de l'homme juge à l'unanimité qu'il n'y a pas eu de violation de l'article 8. Elle considère que les requêtes comme celles de l’espèce appellent un examen du juste équilibre à ménager entre le droit au respect de la vie privée des requérants, garanti par l’article 8 de la Convention, et la liberté d’expression de la station de radio et des maisons d’édition ainsi que la liberté d’information du public, garanties par l’article 10 de la Convention. Lors de cet examen, la Cour doit notamment avoir égard aux obligations positives qui incombent à l’État au regard de l’article 8 de la Convention et aux principes qu’elle a dégagés dans sa jurisprudence constante quant au rôle essentiel que la presse joue dans une société démocratique et qui inclut la rédaction de comptes rendus et de commentaires sur les procédures judiciaires. Au rôle premier et indispensable de la presse de « chien de garde » s’ajoute une fonction accessoire mais néanmoins d’une importance certaine, qui consiste à constituer des archives à partir d’informations déjà publiées et à les mettre à la disposition du public. À cet égard, la Cour rappelle que la mise à disposition d’archives sur Internet contribue grandement à la préservation et à l’accessibilité de l’actualité et des informations. Les archives numériques constituent en effet une source précieuse pour l’enseignement et les recherches historiques, notamment en ce qu’elles sont immédiatement accessibles au public et généralement gratuites. Elle rappelle que les communications en ligne et leur contenu risquent bien plus que la presse de porter atteinte à l’exercice et à la jouissance des droits et libertés fondamentaux, en particulier du droit au respect de la vie et ce notamment en raison du rôle important que jouent les moteurs de recherche. La Cour reconnaît de façon générale aux États une ample marge d’appréciation lorsqu’ils doivent ménager un juste équilibre entre des intérêts privés ou différents droits protégés par la Convention. Il incombe à la CEDH de vérifier, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les décisions que les juridictions nationales ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation se concilient avec les dispositions de la Convention. Si la mise en balance par les autorités nationales s’est faite dans le respect des critères établis par la jurisprudence de la Cour, il faut des raisons sérieuses pour que celle-ci substitue son avis à celui des juridictions internes. La Cour a déjà eu l’occasion d’énoncer les principes pertinents qui doivent guider son appréciation – et, surtout, celle des juridictions internes – de la nécessité. Elle a ainsi posé un certain nombre de critères dans le contexte de la mise en balance des droits en présence. Les critères pertinents qui ont été jusqu’ici ainsi définis sont la contribution à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de la publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies. La Cour estime que les critères ainsi définis peuvent être transposés à la présente affaire, même si certains d’entre eux peuvent revêtir plus ou moins de pertinence eu égard aux circonstances particulières de l’espèce. La Cour note que c’est avant tout en raison des moteurs de recherche que les informations sur les requérants tenues à disposition par les médias concernés peuvent facilement être repérées par les internautes. Il n’en demeure pas moins que l’ingérence initiale dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect de la vie privée résulte de la décision des médias concernés de publier ces informations et, surtout, de les garder disponibles sur leurs sites web, fût-ce sans intention d’attirer l’attention du public, les moteurs de recherche ne faisant qu’amplifier la portée de l’ingérence en question. Cela dit, en raison de cet effet amplificateur concernant le degré de diffusion des informations et de la nature de l’activité dans laquelle s’inscrit la publication de l’information sur la personne concernée, les obligations des moteurs de recherche à l’égard de la personne concernée par l’information peuvent être différentes de celles de l’éditeur à l’origine de l’information. Par conséquent, la mise en balance des intérêts en jeu peut aboutir à des résultats différents selon que se trouve en cause une demande d’effacement dirigée contre l’éditeur initial de l’information dont l’activité se trouve en règle générale au cœur de ce que la liberté d’expression entend protéger, ou contre un moteur de recherche dont l’intérêt principal n’est pas de publier l’information initiale sur la personne concernée, mais notamment de permettre, d’une part, de repérer toute information disponible sur cette personne et, d’autre part, d’établir ainsi un profil de celle-ci. La Cour partage la conclusion de la Cour fédérale allemande qui a rappelé que les médias avaient pour mission de participer à la formation de l’opinion démocratique en mettant à la disposition du public des informations anciennes conservées dans leurs archives. La Cour rappelle que la manière de traiter un sujet relève de la liberté journalistique et que l’article 10 de la Convention laisse aux journalistes le soin de décider quels détails doivent être ou non publiés, sous la condition que ces choix répondent aux normes éthiques et déontologique de la profession. L’inclusion dans un reportage d’éléments individualisés, tel le nom complet de la personne visée, constitue un aspect important du travail de la presse, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une procédure pénale ayant suscité un intérêt public considérable que l’écoulement du temps n’a pas fait disparaître. La Cour note qu’au cours de leur dernière demande de révision du procès en 2004, les requérants se sont eux-mêmes tournés vers la presse à laquelle ils ont transmis un certain nombre de documents tout en l’invitant à en tenir le public informé. Cette attitude relativise leur espérance d’obtenir l’anonymisation des reportages en cause ou encore un droit à l’oubli numérique. En conclusion, compte tenu de la marge d’appréciation des autorités nationales lorsqu’elles mettent en balance des intérêts divergents, de l’importance de conserver l’accessibilité à des reportages acceptés comme licites et du comportement des requérants vis-à-vis de la presse, la Cour estime qu’il n’y a pas de raisons sérieuses de substituer son avis à celui de la Cour fédérale de justice. |
ECLI : | CE:ECHR:2018:0628JUD006079810 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Droits - Libertés |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-184438 |
Cite : |
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