
Document public
Titre : | Arrêt relatif à la violation du droit au respect de la correspondance d'un avocat avec ses clients, mis en examen et placés sous escorte policière : Laurent c. France |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 24/05/2018 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 28798/13 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Droit des détenus [Mots-clés] Transfert de détenu [Mots-clés] Relation avec les professionnels de la sécurité [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Droit au respect de la correspondance [Mots-clés] Non-respect de la confidentialité [Mots-clés] Avocat [Géographie] France |
Résumé : |
Dans le cadre d'une permanence pénale au tribunal de grande instance, le requérant assurait, en avril 2008, la défense de deux personnes mises en examen et alors placées sous escorte policières. À l’issue du débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention, dans l’attente du délibéré, les deux mis en examen ont du patienter, sous la surveillance de l’escorte policière, dans la salle des pas perdus du tribunal. Ils ont pu s’installer autour d’une table et s’entretenir avec le requérant, qui portait toujours sa robe d’avocat. Les deux intéressés lui ont demandé une carte de visite professionnelle. N’en ayant pas sur lui, le requérant a noté ses coordonnées professionnelles sur un morceau de papier, qu’il a plié ensuite en deux et a remis ostensiblement à l'un de ses clients. Le chef de l’escorte a alors demandé à l'intéressé de lui montrer ce papier. Il l'a déplié, l'a lu puis le lui a rendu. Le requérant a reproché au policier de ne pas respecter la confidentialité de ses échanges avec son client. La même scène s'est déroulée ensuite avec l'autre personne mise en examen.
La plainte déposée par le requérant pour atteinte au secret des correspondances par une personne dépositaire de l'autorité publique, a été classée sans suite. Par la suite, il a contesté l'ordonnance de non-lieu rendu par le juge d'instruction, mais en vain. La chambre de l'instruction de la cour d'appel a confirmé l'ordonnance en considérant que si l’interception de ces papiers avait « indéniablement pu porter atteinte au principe de la libre communication d’un avocat avec son client », elle ne pouvait cependant pas constituer une atteinte au secret de la correspondance telle que prévue et réprimée par le droit interne : selon elle, le fait de plier une feuille de papier, comme en l’espèce, avant de la remettre à son destinataire ne permettrait pas d’analyser cette feuille comme une correspondance au sens des articles 226-15 et 432-9 du code pénal. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi du requérant en considérant que les billets litigieux circulaient à découvert et qu’ils ne répondaient donc pas à la notion de correspondance protégée au sens du code pénal. Le requérant soutient que l'interception par le policier des papiers remis à ses clients constitue une violation de son droit au respect de sa correspondance tel que prévu par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. La CEDH considère d'abord qu'une feuille de papier pliée en deux sur laquelle un avocat a écrit un message, remise par cet avocat à ses clients, doit être considérée comme une correspondance protégée au sens de l’article 8 de la Convention. Partant, elle estime que constitue une ingérence dans le droit au respect de la correspondance entre un avocat et ses clients le fait, pour un policier, d’intercepter les notes rédigées par le requérant puis remises à ses clients. Ensuite, elle considère que cette ingérence poursuivait les buts légitimes de prévention des infractions pénales et de défense de l'ordre. En revanche, l’interception et l’ouverture de la correspondance du requérant, en sa qualité d’avocat, avec ses clients a porté une atteinte disproportionnée à la confidentialité de la correspondance. La Cour relève que les clients du requérant étaient, au moment de l’ingérence, privés de liberté et sous le contrôle d’une escorte policière. Dès lors, tout contrôle de leurs échanges ne saurait être exclu, mais il ne devrait s’opérer qu’en présence de motifs plausibles de penser qu’il y figure un élément illicite. Or, en l'espèce, en l'absence de tout soupçon d'acte illicite, l'interception n'était pas justifiée. La Cour précise que le contenu des documents interceptés par le policier importe peu dès lors que, quelle qu’en soit la finalité, les correspondances entre un avocat et son client portent sur des sujets de nature confidentielle et privée. La Cour conclut, à l'unanimité, que l'ingérence dans le droit au respect de la correspondance entre le requérant, un avocat, et ses clients, ne répondait à aucun besoin social impérieux et n’était donc pas « nécessaires dans une société démocratique », au sens de l’article 8 § 2. |
ECLI : | CE:ECHR:2018:0524JUD002879813 |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-183129 |