Document public
Titre : | Décision 2018-058 du 9 février 2018 relative à une tierce intervention devant la Cour européenne des droits de l'homme portant sur l'affaire Moustahi c. France |
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Accompagne : | |
Auteurs : | Défenseur des droits, Auteur ; Expertise, Auteur |
Type de document : | Décisions |
Année de publication : | 09/02/2018 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 2018-058 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Documents internes] Observations devant une juridiction [Documents internes] Position suivie d’effet [Documents internes] Rapport annuel 2020 [Documents internes] Observations devant une juridiction avec décision rendue [Documents internes] Tierce intervention [Géographie] Outre-mer [Géographie] Mayotte [Mots-clés] Relation des usagers avec les services publics [Mots-clés] Responsabilité de l'Etat [Mots-clés] Droit des étrangers [Mots-clés] Mineur étranger [Mots-clés] Mineur non accompagné [Mots-clés] Migrant [Mots-clés] Droits de l'enfant [Mots-clés] Rétention administrative [Mots-clés] Mesure d'éloignement [Mots-clés] Intérêt supérieur de l'enfant [Mots-clés] Devoir de protection [Mots-clés] Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) |
Résumé : |
Le Défenseur des droits a été autorisé par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à intervenir en qualité de tiers intervenant dans l'affaire Moustahi c. France (requête n° 9347/14).
La requête Moustahi c. France porte sur la situation de mineurs migrants non accompagnés voyageant seuls sur une embarcation de fortune, afin de rejoindre leur(s) parent(s) à Mayotte ; ils sont interpellés en mer par les autorités françaises, puis placés en rétention administrative pour être ensuite renvoyés aux Comores, après avoir été rattachés fictivement à une tierce-personne. Cette affaire soulève la question du respect des obligations de l’État à l’égard des mineurs non accompagnés migrants, résultant des articles 3, 5, 8 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention »), ainsi que de l’article 4 du Protocole additionnel n°4. Le Défenseur des droits est intervenu en qualité d’amicus curiae dans la procédure nationale, devant le juge des référés du Conseil d’État (décision MDE-2013-253). Après avoir appelé l’attention de la Cour sur le régime dérogatoire existant à Mayotte en matière d’entrée et de séjour des ressortissants étrangers, le Défenseur des droits a souligné la nécessité de rappeler aux États leurs obligations tendant à assurer aux mineurs non accompagnés migrants une protection effective et adaptée à leurs besoins ; obligations qui sont inscrites tant dans la jurisprudence de la Cour que dans la Convention relative aux droits de l’enfant. La pratique tendant à placer en rétention administrative un mineur non accompagné et à procéder à son éloignement en le rattachant artificiellement à un tiers n’ayant aucune autorité sur lui, sans aucune mesure de sécurité et d’accompagnement, contrevient aux obligations de protection absolue de l’article 3 de la Convention et à l’intérêt supérieur de l’enfant. Un tel placement en rétention administrative ne semble pas se concilier non plus avec l’article 5 de la Convention. En outre, rappelant les obligations de l’État en matière d’effectivité du recours qui commande des exigences d’accessibilité et de garanties procédurales selon la jurisprudence De Souza Ribeiro c. France, le Défenseur des droits soutient que la procédure dérogatoire applicable à Mayotte n’est pas conforme aux exigences de l’article 13. |
NOR : | DFDI1800058S |
Suivi de la décision : |
Le 25 juin 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt visant la France, aux termes duquel elle a constaté une violation des articles 3, 5, 8, 13 de la Convention et de l’article 4 du Protocole n°4. Cette affaire concerne la situation de très jeunes enfants comoriens voyageant sans accompagnement, sur une embarcation de fortune, entre les Comores et Mayotte. Interpellés par les autorités françaises, ils ont été placés en rétention administrative puis expulsés, après avoir été rattachés à un tiers n’ayant aucune autorité sur eux. Dans sa tierce-intervention devant la Cour, le Défenseur des droits a développé des arguments allant dans le sens d’une violation de l’ensemble de ces articles. A titre préliminaire, dans son arrêt, la Cour a estimé que les enfants étaient des mineurs non accompagnés, après avoir considéré que leur rattachement à un adulte tiers n’ayant aucun lien juridique avec eux était arbitraire. Elle a été en outre « convaincue que ce rattachement n’a[vait] pas été opéré dans le but de préserver l’intérêt supérieur des enfants, mais dans celui de permettre leur expulsion rapide vers les Comores ». La Cour a conclu à une violation de l’article 3 (interdiction de tout traitement inhumain ou dégradant), après avoir rappelé que la rétention administrative des mineurs, accompagnés ou non, soulève des problèmes particuliers compte tenu de leur extrême vulnérabilité et de leurs besoins spécifiques et que cette situation est déterminante et doit prédominer sur la qualité d’étranger en séjour illégal. Elle a relevé, en l’espèce, l’extrême vulnérabilité des enfants, des conditions de rétention identiques à celles des personnes adultes appréhendées en même temps qu’eux, ainsi que l’absence de protection et de prise en charge par les autorités au titre de leurs obligations positives découlant de l’article 3. La durée de la rétention est indifférente aux yeux de la Cour. Pareillement, sur les conditions de renvoi des enfants vers les Comores, la Cour a précisé qu’elle « ne peut que constater le manque de préparation et l’absence de mesures d’encadrement et de garanties entourant le renvoi». Elle a estimé que dans ces conditions, le refoulement leur avait « nécessairement causé un sentiment d’extrême angoisse et a[avait] constitué un manque flagrant d’humanité envers leur personne, eu égard à leur âge et à leur situation de mineurs non accompagnés, de sorte qu’il atteint le seuil requis pour être qualifié de traitement inhumain ». La Cour a également conclu à une violation de l’article 5 (droit à la liberté et à la sûreté). Elle a constaté d’emblée que le placement en rétention administrative des requérants a constitué une privation de liberté au sens de l’alinéa 1, en raison de l’absence de fondement juridique apte à justifier la mesure. En outre, les enfants « accompagnant » un tiers inconnu sont tombés, selon elle, dans un vide juridique ne leur permettant pas d’exercer le recours garanti à ce tiers. Contrairement aux affaires que la Cour a précédemment jugées, les enfants n’ont pas été retenus en compagnie d’une tierce personne disposant de l’autorité juridique pour agir en leur nom devant les juridictions internes et ayant nécessairement leur intérêt à cœur. Elle en a conclu qu’ils n’avaient pas bénéficié de la protection requise par l’article 5. La Cour a conclu à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) au regard du constat de violation de l’article 5, qui a été aggravée par un facteur additionnel : le refus par les autorités de confier les enfants à leur père, en séjour régulier à Mayotte, qui n’était pas justifié par l’intérêt supérieur de l’enfant. Leur objectif était en effet d’assurer leur expulsion dans les meilleurs délais. La Cour a également conclu à la violation de l’article 4 du Protocole n° 4 (interdiction des expulsions collectives d’étrangers) au vu des circonstances de l’espèce, l’éloignement des jeunes enfants ayant été décidé et mis en œuvre sans leur accorder la garantie d’un examen raisonnable et objectif de leur situation particulière. Enfin, la Cour a conclu à une violation de l’article 13 combiné à l’article 8 et à l’article 4 précité, elle a estimé que la brièveté du délai séparant l’adoption de la mesure d’expulsion et son exclusion a exclu toute possibilité pour un tribunal d’être effectivement saisi. Aucun examen judiciaire des demandes des requérants ne pouvait donc avoir lieu. |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Mineurs étrangers |
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