
Document public
Titre : | Jugement relatif au fait que l’absence de prise en charge pluridisciplinaire d’un enfant autiste en raison de manque de place disponible révèle, en principe, une carence de l’Etat |
Voir aussi : |
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Auteurs : | Tribunal administratif de Versailles, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 08/03/2018 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 1507496 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Éducation [Mots-clés] Droit à l'éducation [Mots-clés] Handicap [Mots-clés] Autisme [Mots-clés] Établissement médico-social [Mots-clés] Responsabilité de l'Etat [Mots-clés] Preuve [Mots-clés] Relation des usagers avec les services publics [Mots-clés] Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) |
Résumé : |
L’affaire concerne l’absence de prise en charge pluridisciplinaire adaptée d’un enfant autiste depuis sept ans.
Les requérants sont parents de trois enfants. Leur plus jeune fille, née en juillet 2007, souffre de troubles autistiques qui ont été diagnostiqués à l’âge de trois ans et demi. Malgré plusieurs décisions de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) ayant prononcé l’orientation de l’enfant en établissement médico-social et désignant un service d’éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD), l’enfant n’a pas pu être prise en charge. En effet, aucun des établissements désignés n’a accepté de prendre en charge la fille des requérants en raison notamment du manque de places disponibles. Par ailleurs, l’enfant n’a pas pu bénéficier d’une auxiliaire de vie scolaire individuelle pour la rentrée 2011/2012 conformément à la décision de la CDAPH en raison de l’absence de recrutement de l’auxiliaire par l’inspection académique. Les parents demandent au tribunal administratif de condamner l’État à réparer les préjudices subis tant par eux-mêmes que par leurs trois enfants en raison de la carence de l’État dans la mise en place d’une prise en charge effective de leur fille depuis sept ans. Sollicité par le tribunal administratif, le Défenseur des droits a présenté ses observations. Il considère que la responsabilité de l’État est engagée dès lors que l’absence de prise en charge de l’enfant traduit une carence de l’État et dès lors que cette carence a conduit les parents à organiser et financer des solutions alternatives de prise en charge jugées adaptées à son autisme. Il appartient par conséquent au juge administratif d’apprécier l’étendue du préjudice de l’enfant et de ses parents. Le tribunal administratif rappelle que le droit à l’éducation est garanti à chacun quelles que soient les différences de situation et que l’obligation scolaire s’applique à tous. Il considère que les difficultés particulières que rencontrent les enfants handicapés ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de du droit à l’éducation, ni de faire obstacle au respect de l’obligation scolaire. Par ailleurs, le droit à une prise en charge pluridisciplinaire est garanti à toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique, quelles que soient les différences de situation. Le juge ajoute que si, compte tenu de la variété des formes du syndrome autistique, le législateur a voulu que la prise en charge, afin d’être adaptée aux besoins et difficultés spécifiques de la personne handicapée, puisse être mise en œuvre selon des modalités diversifiées, notamment par l’accueil dans un établissement spécialisé ou par l’intervention d’un service à domicile, c’est sous réserve que la prise en charge soit effective dans la durée, pluridisciplinaire et adaptée à l’état et à l’âge de la personne atteinte de ce syndrome. Le tribunal précise qu’en vertu de l’article L. 241-6 du code de l’action sociale et des familles, il incombe à la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH), à la demande des parents, de se prononcer sur l’orientation des enfants atteints du syndrome autistique et de désigner les établissements ou les services correspondant aux besoins de ceux-ci et étant en mesure de les accueillir, ces structures étant tenues de se conformer à la décision de la commission. Ainsi, lorsqu’un enfant autiste ne peut être prise en charge par l’une des structures désignées par la CDAPH en raison d’un manque de place disponible, l’absence de prise en charge pluridisciplinaire qui en résulte est, en principe, de nature à révéler une carence de l’État dans la mise en œuvre des moyens nécessaires pour que cet enfant bénéficie effectivement d’une telle prise en charge dans une structure adaptée. Il précise qu’en revanche, lorsque les établissements désignés refusent d’admettre l’enfant pour un autre motif, ou lorsque les parents estiment que la prise en charge effectivement assurée par un établissement désigné par la CDAPH n’est pas adaptée aux troubles de leur enfant, l’État ne saurait, en principe, être tenu pour responsable de l’absence ou du caractère insuffisant de la prise en charge, lesquelles ne révèlent pas nécessairement, alors, l’absence de mise en œuvre par l’Etat des moyens nécessaires. Le juge ajoute qu’en l’absence de toute démarche engagée par les parents auprès de la CDAPH, la responsabilité de l’État ne saurait être engagée du fait de l’absence ou du caractère insatisfaisant de la prise en charge de leur enfant. Ensuite, le tribunal aménage la charge de la preuve des carences de l’État. Il considère que, compte tenu des difficultés propres à l’administration de la preuve en ce domaine, s’il appartient aux parents de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une carence de l’État dans la mise en œuvre des décisions de la CDAPH, il incombe à l’État de renverser cette présomption en produisant les éléments permettant d’établir que l’absence de prise en charge ne lui est pas imputable. En l’espèce, le juge considère que même si les parents ne démontrent pas avoir effectué des démarches auprès de l’ensemble des établissements désignés les décisions successives de la CDAPH, il est toutefois constant que la grande majorité d’entre eux ont refusé d’admettre leur enfant au motif qu’ils ne disposaient pas de place et que l’enfant n’a jamais pu bénéficier d’une place dans aucun des établissements désignés. En outre, il ne saurait être reproché aux parents de ne pas avoir engagé d’action en responsabilité à l’encontre des deux établissements ayant opposé un motif autre que le manque de place, dès lors que, d’une part, le motif de refus tiré du défaut d’agrément est légal et que, d’autre part, n’étant ni établi ni même soutenu qu’une seule place ait été disponible depuis 2011 pour l’enfant dans l’un des établissements désignés. Par ailleurs, la circonstance que le motif de refus tiré de l’éloignement géographique opposé par un seul établissement désigné était illégal n’est pas de nature à exonérer l’État de sa responsabilité en raison de la carence dans la mise en œuvre des moyens nécessaires pour que l’enfant des requérants bénéficie effectivement d’une telle prise en charge dans une structure adaptée. Enfin, le juge retient que l’absence de recrutement d’une auxiliaire de vie révèle une carence de l’État dans la mise en œuvre de ses obligations et constitue une faute de nature à engager sa responsabilité. Il conclut que l’absence de prise en charge spécifiquement adaptée aux troubles de la fille des requérants, selon les orientations décidées par la CDAPH révèle, depuis mars 2011, une carence de l’État dans la mise en œuvre des moyens nécessaires pour que leur fille bénéficie effectivement d’une prise en charge pluridisciplinaire et constitue une faute de nature à engager sa responsabilité. L’État doit verser aux requérants la somme totale de 166.000 € en réparation des préjudices moraux et des troubles dans les conditions d’existence subis, par eux-mêmes, leur enfant autiste et ses deux sœurs, du fait des carences de l’État dans la prise en charge de l’enfant depuis le mois de mars 2011. NB : Le même jour le tribunal administratif s'est prononcé dans trois autres affaires similaires (n° 1508420; 1508421; 1508418) et a condamné l’État à indemniser les parents et les enfants. |
Somme allouée hors discrimination (en euros) : | 166000 |
Est accompagné de : |
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