Document public
Titre : | Arrêt relatif au traitement discriminatoire des cheminots de nationalité étrangère, appelés "chibanis", en matière de déroulement de carrière |
Voir aussi : | |
Titre précédent : | |
Auteurs : | Cour d'appel de Paris, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 31/01/2018 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 15/11389 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Emploi [Mots-clés] Emploi privé [Mots-clés] Agent contractuel [Mots-clés] Agent public [Mots-clés] Etablissement public [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Nationalité [Mots-clés] Carrière [Mots-clés] Retraite [Mots-clés] Préjudice [Mots-clés] Méthode des panels [Mots-clés] Prescription [Mots-clés] Emploi public [Mots-clés] Égalité de traitement [Mots-clés] Cadre - statut [Géographie] Maroc |
Mots-clés: | chibanis |
Résumé : |
L’affaire concerne la condamnation d’un établissement public spécialisé dans le secteur du transport pour discrimination envers près de 800 employés de nationalité ou d’origine marocaine (appelés "chibanis") qui estimaient avoir été bloqués dans leur carrière et lésés à la retraite.
Embauchés dans les années 1970 en qualité d’agents contractuels, les requérants soutenaient avoir étés victimes d’une discrimination résultant d’une inégalité de traitement avec les salariés du « cadre permanent » placés dans la même situation qu’eux lors de l’exécution de leurs contrats de travail. Seuls les salariés de nationalité française pouvaient accéder au cadre permanent. Statuant en formation de départage, le conseil de prud’hommes a jugé que les intéressés ont fait l’objet d’une discrimination indirecte en étant particulièrement désavantagés par rapport aux salariés français engagés aux mêmes fonctions. Il a par ailleurs reconnu l’existence de discrimination en matière d’accès aux soins, de formation et d’accès aux examens ainsi qu’en matière de facilités de circulation. En revanche, il a rejeté la demande des intéressés visant leur intégration rétroactive au cadre permanent faute d’avoir rempli lors de leur engagement au sein de la société, la condition de nationalité exigée par la clause de nationalité dont les intéressés ne contestaient pas la validité. Chacun des salariés a obtenu environ 180.000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination durant l’exécution de son contrat de travail et 20.000 € pour discrimination dans ses droits à la retraite. L’employeur a interjeté appel. Le Défenseur des droits a décidé de présenter ses observations devant la cour d’appel sur la situation collective des cheminots concernés. Par le présent arrêt (qui est l’un des 848 rendus dans cette affaire), la cour d’appel confirme le jugement prud’homal en ce qu’il a reconnu l’existence d’une discrimination dans le déroulement de la carrière du salarié et au titre de sa retraite. Elle rejette l’argument de l’employeur qui prétendait que les demandes en réparation de la discrimination et relatives à la retraite étaient prescrites. La cour considère que la discrimination en raison de la nationalité caractérisée par une différence de traitement dans l’évolution de la carrière par rapport à celles des agents statuaires découle d’une série d’actes, de décisions concrètes qui sont étalés dans le temps en sorte que c’est seulement lorsque la collaboration a cessé, soit à la date de la rupture du contrat de travail, en l’espèce en 2007, que le salarié a pu disposer des éléments suffisants pour avoir connaissance de la réalité de la discrimination. En l’espèce, les demandes du salarié dont le contrat de travail a été rompu en décembre 2007 et qui a saisi le conseil de prud’hommes en février 2007 ne sont pas prescrites. Il en est de même concernant les demandes au titre de la retraite, le point de départ du délai de prescription n’est pas la date d’embauche du salarié mais celle à laquelle il prétend à la liquidation de ses droits à la retraite. Ensuite, la cour considère que les faits présentés et matériellement établis au vu des éléments communiqués, des bilans sociaux, des termes mêmes de règlements, des annexes et du statut, pris dans leur ensemble, laissent présumer l’existence d’une discrimination au détriment du salarié en raison de sa nationalité étrangère ou de son origine étrangère, alors même qu’il occupait un emploi relevant du dictionnaire des filières réservé aux agents du cadre permanent, et ce, dans des conditions d’activité strictement analogues aux dits agents. Or, l’employeur ne démontre pas que la différence de traitement soit justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination liée à la nationalité. L’employeur faisait notamment valoir que la non application au salarié, agent contractuel, du statut réservé aux seuls agents du cadre permanent était fondé sur la clause de nationalité française, incluse dans le statut à valeur règlementaire et qu’elle était justifiée par l’une de ses missions consistant à participer depuis sa création à l’exercice de la puissance publique. La cour relève que l’employeur a observé lui-même que la légitimité de cette clause et son opportunité pouvaient être discutées et qu’en 2006, un représentant de l’employeur avait expliqué que l’incorporation des agents étrangers au cadre permanent, résultant d’une suppression de la clause de nationalité, représenterait un enjeu trop lourd financièrement pour l’employeur. La cour notre en outre que les agents de nationalité étrangère, ont effectivement occupé des emplois normalement réservés aux agents statutaires désignés comme étant seuls habilités pour remplir la mission d’intérêt général. Enfin, la cour considère qu’il n’est pas davantage justifié que cette clause constitue le moyen approprié et proportionné pour régler les conséquences des questions relatives au renouvellement ou au retrait des titres de séjour en France, sur la poursuite de la collaboration entre l’établissement public et les salariés étrangers. Cette clause est contraire à l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, prohibant la discrimination, combiné avec l’article 1er du protocole additionnel n°1 à la Convention. La cour conclut que si l’employeur a, à compter de 2004, mis en place des mesures de nature à atténuer les différences de traitement dans le déroulement de carrière entre les agents statutaires et les agents contractuels occupant les mêmes fonctions, il n’est pas établi que les décisions de l’employeur prises tout au long de la carrière de l’agent reposaient sur des éléments objectifs à toute discrimination directe ou indirecte en lien avec la nationalité du salarié, la clause de nationalité ne pouvant en aucun cas justifier ces différences de traitement dans aucun des domaines liés à l’évolution des carrières, ni en matière de retraite. Pour évaluer le préjudice matériel lié à l’évolution de carrière, la cour applique la méthode Clerc et fixe le montant à 173.017 €. Par ailleurs, l’employeur doit verser au salarié la somme de 60.555 € en réparation du préjudice en lien avec les droits à pension de retraite, 3.000 € en réparation du préjudice en lien avec la formation, l’employeur n’ayant pas respecté les dispositions de l’accord collectif sur la formation. Le salarié obtient également la somme de 5.000 € en réparation du préjudice moral résultant du traitement discriminatoire et de l’inaction de l’employeur qui avait tardé à prendre les mesures de nature à compenser les disparités entre les agents statutaires et contractuels. |
Autres sommes allouées en lien avec la discrimination : | 5000 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Emploi |
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