Document public
Titre : | Arrêt relatif à la condamnation pénale d'un conseiller municipal pour diffamation publique envers un maire : Lacroix c. France |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 07/09/2017 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 41519/12 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Liberté d'expression [Mots-clés] Lanceur d'alerte [Mots-clés] Commune [Mots-clés] Fonctionnaire [Mots-clés] Diffamation [Mots-clés] Marché public [Géographie] France |
Résumé : |
L’affaire concerne la condamnation pénale d’un conseiller municipal pour diffamation publique envers un maire et sa première adjointe en raison des propos qu’il avait tenus lors d’une séance du conseil municipal.
En sa qualité de membre des commissions des finances et des appels d’offre, le requérant était en charge du suivi d’une opération de sécurisation et d’aménagement du domaine public d’une route. En 2009, il dénonça des irrégularités qui, selon lui, affectaient deux marchés publics relatifs à cette route. Il adressa notamment un courrier au préfet et à la chambre régionale des comptes. Par la suite, lors d’une séance du conseil municipal au cours de laquelle devait être discuté un avenant au contrat conclu avec la société choisie pour effectuer les travaux, le requérant accusa le maire ainsi que sa première adjointe d’escroquerie et demanda leur démission. Ses propos furent rapportés par un quotidien. En novembre 2009, une enquête préliminaire fut ouverte par le procureur de la République concernant les modalités du marché public critiqué par le requérant. Ce dernier adressa, en janvier 2010, un courrier électronique au préfet accompagné de nombreuses pièces jointes afin de dénoncer les agissements qu’il jugeait délictueux. Par ailleurs, dans un tract diffusé en janvier 2010, le requérant renouvela ses accusations. En janvier 2010, le requérant fut cité en diffamation publique devant le tribunal correctionnel pour les propos qu’il avait tenus lors du conseil municipal et dans ce tract. En septembre 2010, il fut déclaré coupable du délit de diffamation publique au motif qu’il n’avait pas établi la réalité des faits dénoncés. Il fut condamné à payer une amende de 1000 € ainsi qu’à verser à chacune des parties civiles « un euro symbolique » au titre de dommages-intérêts. En février 2011, la cour d’appel déclara le requérant déchu du droit de faire la preuve de la vérité des faits diffamatoires et lui refusa le bénéfice de la bonne foi. Il confirma le jugement de première instance condamnant le requérant pour des faits de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public. La Cour de cassation déclara le pourvoi de l’intéressé non admis. La CEDH dit à l’unanimité qu’il y a eu violation de la liberté d’expression du requérant (article 10 de la Convention). Elle observe que, tant le requérant que le Gouvernement, estiment que les déclarations incriminées dans la présente affaire constituent des jugements de valeur plutôt que des déclarations de fait. Elles reflètent des assertions objectives sur des questions d’intérêt public par un élu du conseil municipal. Quant à la base factuelle de ces jugements de valeur, la Cour note que le requérant avait signifié une offre de preuve de la véracité des faits imputés au maire et à son adjointe, mais qu’il a été déchu par les juridictions internes du droit de faire la preuve de la vérité des faits poursuivis pour des motifs procéduraux liés à son élection de domicile. Or, la Cour observe que les informations transmises par le requérant au préfet qui a saisi le procureur de la République étaient suffisamment précises pour permettre à la justice d’enquêter sur les faits que le requérant dénonçait. La Cour note par ailleurs que, alors même que le maire était informé d’un classement sans suite le 6 décembre 2010, tel n’a pas été le cas du requérant qui, postérieurement à cette date, a été destinataire de plusieurs courriers du ministère public l’informant soit que l’enquête était toujours en cours, soit que la procédure était en attente d’une décision du substitut du procureur. La Cour souligne que c’est en sa qualité d’élu que le requérant était en charge du dossier en débat. Elle observe, en outre, que ses compétences professionnelles lui permettaient d’en apprécier les aspects techniques. Elle considère qu’il accomplissait son mandat en alertant les autres membres du conseil municipal, les citoyens de sa commune et le préfet de ce qu’il pensait être des irrégularités affectant un marché public relatif à la sécurisation d’une route et pouvant avoir des conséquences non seulement sur le budget de la commune mais également sur la sécurité de ses concitoyens. Enfin, si les propos ont été tenus sur le ton de l’invective, ils étaient fondés sur une base factuelle suffisante. Enfin, quant à la nature de la sanction infligée au requérant, même si la sanction est la plus modérée possible, elle n’en constitue pas moins une sanction pénale qui peut avoir un effet dissuasif quant à l’exercice de la liberté d’expression, lequel doit être pris en compte pour apprécier la proportionnalité de l’ingérence. Le prononcé même d’une condamnation pénale est l’une des formes les plus graves d’ingérence dans le droit à la liberté d’expression, eu égard à l’existence d’autres moyens d’intervention et de réfutation, notamment par les voies de droit civiles. Pour cette raison, la Cour a invité à plusieurs reprises les autorités internes à faire preuve de retenue dans l’usage de la voie pénale. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’un juste équilibre n’a pas été ménagé, dans les circonstances de l’espèce, entre la nécessité de protéger le droit du requérant à la liberté d’expression et celle de protéger les droits et la réputation des plaignants. Les motifs fournis par les juridictions nationales pour justifier la condamnation du requérant ne pouvaient passer pour pertinents et suffisants, et ils ne correspondaient à aucun besoin social impérieux. |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Droits - Libertés |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-176968 |