Document public
Titre : | Requête relative à l’usage de la force à l’égard d’un détenu, aux conditions de son transfert vers un autre centre de détention et à l’enquête menée sur les faits dénoncés : J.M. c. France |
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Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 06/11/2014 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 71670/14 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Relation avec les professionnels de la sécurité [Mots-clés] Professionnel de la sécurité [Mots-clés] Transfert de détenu [Mots-clés] Droit des détenus [Mots-clés] Violence [Mots-clés] Surveillant pénitentiaire [Mots-clés] Traitement inhumain et dégradant [Mots-clés] Enquête [Mots-clés] Établissement pénitentiaire [Géographie] France |
Résumé : |
L’affaire concerne les mauvais traitements qu’aurait subi le requérant alors qu’il était incarcéré au centre de détention, les conditions de son transfert vers un autre centre de détention et l’enquête menée par les autorités.
Le 5 juillet 2007 vers midi, le requérant a été examiné par un médecin pour recevoir des soins suite à une automutilation. Il affirme qu’il ne présentait à ce moment aucun signe de violence. Le médecin ayant refusé, comme le lui demandait le requérant, de le placer en hôpital psychiatrique, ce dernier n’a pas voulu rejoindre sa cellule. Il soutient avoir, alors, subi des violences de la part de membres du personnel du centre alors qu’il refusait de se rendre au quartier disciplinaire. Plusieurs surveillants l’ont plaqué au sol, puis l’ont menotté en lui assénant des coups, notamment à la tête, alors qu’il tentait de se rendre au service médical malgré une interdiction de le faire. Il a été conduit au quartier disciplinaire. Alors qu’ils étaient dans l’ascenseur, le requérant a senti qu’on tentait de l’étrangler avec « une sorte de fil à couper le beurre ». Il a perdu connaissance et a été réanimé par les surveillants à l’infirmerie. Le médecin a refusé de lui délivrer un certificat médical. De retour en cellule, le requérant a cassé les sanitaires ce qui engendra l’inondation de la cellule. Il a été alors transféré au quartier d’isolement et informé que le lendemain il rejoindrait un autre centre de détention. Durant la soirée, il a mis le feu à des papiers dans sa cellule, feu qu’il éteignit lui-même, mais que les surveillants ont remarqué. Ils sont intervenus avec une lance à incendie, alors que le feu était éteint et ils ont inondé la pièce. Le requérant a alors été transféré dans la cellule du quartier disciplinaire où il a passé la nuit à moitié dévêtu et sans matelas. Vers 7 heures du matin, 4 surveillants cagoulés ont fait irruption dans la cellule, ont frappé le requérant et lui ont immobilisé les jambes à l’aide d’un rouleau de ruban adhésif. Un surveillant lui a donné un drap pour se couvrir avant que le requérant soit placé dans un fourgon cellulaire à destination d’un autre centre pénitentiaire. Le requérant explique que, menotté les mains dans le dos, il n’a pu maintenir le drap sur lui durant le trajet et que les vitres du fourgon n’étant pas opacifiées, sa nudité était visible de l’extérieur, ce qui était particulièrement humiliant. À son arrivée au centre de détention, constatant la nudité du requérant et des traces sur son cou, le chef de détention lui a donné des vêtements et l’a orienté vers le service médical qui lui a délivré un certificat médical faisant état d’une « trace de strangulation type fil » sur le cou. Le médecin expert ayant examiné le requérant le 6 juillet 2007 a conclu qu’on observait la présence de multiples lésions d’origine traumatique, récentes et compatibles avec les déclarations du requérant et a fixé l’incapacité temporaire de travail (ITT) à un jour. La direction du centre de détention a alerté le procureur qui a ouvert une enquête de police. Le requérant est sorti de prison en juillet 2008. L’enquête administrative menée par l’inspection des services pénitentiaires (ISP) a fait l’objet d’un rapport le 5 février 2009. Celui ci mentionnait que le parcours du requérant était émaillé d’incidents et qu’il avait fait l’objet de neuf transferts. Après avoir relaté les faits selon la version du requérant et celle des agents, l’ISP a donné son avis sur les événements du 5 juillet 2007. Elle estima que les témoignages du personnel paraissaient cohérents, alors que les allégations du requérant ne semblaient pas pouvoir être retenues. En effet, la durée du trajet en ascenseur et les différents témoignages corroboraient le fait qu’il n’avait pas perdu connaissance. Pour ce qui est des traces de strangulation, aucune réponse décisive n’était apportée. Pour les inspecteurs, les procédures semblaient avoir été globalement respectées au cours de cette phase. Pour ce qui est des faits de la nuit du 5 au 6 juillet, les inspecteurs ont relevé que d’après les agents eux-mêmes, le feu n’était pas très important. Ainsi, l’emploi de la lance à incendie n’était pas le moyen le plus approprié pour éteindre le feu, l’utilisation d’un extincteur étant plus conforme. Ils ont conclu toutefois qu’il n’était pas établi que l’agent pénitentiaire avait agi sciemment pour l’humilier. Ils ont estimé qu’il n’était pas établi que le requérant était resté nu jusqu’au matin, les agents étant intervenus le 6 au matin ayant unanimement déclaré qu’il était a minima vêtu d’un t-shirt mouillé. Les inspecteurs ont également relevé des manquements dans la manière dont l’information relative à ces incidents avait été transmise à la direction de l’établissement et ont constaté que le cahier de nuit n’avait pas été rempli cette nuit-là. Pour ce qui est de la sortie de la cellule le 6 juillet au matin, les inspecteurs ont considéré qu’elle avait été confuse car les agents avaient glissé sur le sol mouillé et le requérant s’était fortement débattu. L’un des agents avait déclaré avoir plaqué le requérant sur la table à l’aide d’un bouclier. Par ailleurs, les agents avaient indiqué qu’ils avaient traîné le requérant sur un drap pour l’emmener dans la salle d’attente. Pour ce qui est enfin des conditions du transfert, les inspecteurs ont estimé en outre que le surveillant qui en était chargé, aurait dû attendre l’ouverture du vestiaire indigent et la remise de vêtements avant le départ pour l’autre centre de détention. Ils ont conclu qu’il n’avait pas été effectué avec le professionnalisme nécessaire à une opération dont il était prévisible qu’elle serait délicate. Le responsable du transfert, qui l’avait placé quasiment nu en fourgon cellulaire, a fait l’objet d’une procédure disciplinaire à l’issue de laquelle une sanction de cinq jours de mise à pied, dont trois jours avec sursis, lui a été infligée. En juillet 2012, le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu en considérant que l’information n’avait pas permis de caractériser l’infraction dénoncée. Il a conclu notamment que l’usage de la force, qui était resté proportionné à l’état d’agitation du requérant, était justifié. La cour d’appel a confirmé l’ordonnance de non-lieu. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi du requérant aux motifs que " la chambre de l’instruction, après avoir analysé l’ensemble des faits dénoncés dans la plainte, a exposé, par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, qu’il n’existait pas de charges suffisantes contre quiconque d’avoir commis les délits reprochés, ni toute autre infraction ". Saisi par le requérant, le Défenseur des droits a rendu une décision en octobre 2013. Il a constaté que les investigations réalisées par l’Inspection des services pénitentiaires n’avaient pas permis de déterminer avec certitude l’origine des blessures constatées sur le requérant, ni même leurs auteurs, les blessures résultant pourtant d’un usage manifestement disproportionné de la force. Il a rappelé que, conformément à la jurisprudence de la CEDH, il appartenait aux personnels mis en cause de fournir toute explication utile pour réfuter les allégations de violence établies à leur endroit. Le Défenseur a ajouté que l’enquête avait révélé d’autres manquements, notamment le fait que le requérant avait été transféré dans un nouvel établissement dans des conditions portant atteinte à sa dignité dans la mesure où il n’était pas habillé. Enfin, il a regretté le choix de l’administration pénitentiaire de différer la prise de sanctions à l’égard des personnels identifiés en raison de la procédure judiciaire en cours et constata qu’un seul fonctionnaire avait été effectivement sanctionné et qu’un autre avait été muté, un troisième ayant quitté ses fonctions depuis. Introduite devant la CEDH le 6 novembre 2014, la requête a été communiquée par la Cour le 28 juin 2017. Griefs : Invoquant l’article 3 (volets matériel et procédural), le requérant se plaint des violences et des humiliations qu’il a subies. Il se réfère à l’emploi de la force physique par les surveillants le 5 juillet 2007 dans la journée et la nuit, ainsi que le 6 juillet au matin. Il souligne que des blessures ont été constatées par un médecin à son arrivée au centre de détention où il a été transféré et qu’aucune explication satisfaisante n’a été donnée par les autorités. Le requérant se plaint encore de son placement au quartier disciplinaire dans la nuit du 5 au 6 juillet 2007, qui allait selon lui contre une décision médicale, dans une cellule impropre à l’accueil d’un détenu, ainsi que des humiliations subies. Il invoque également une violation de l’article 3 en raison de l’emploi de la lance à incendie, des conditions de son transfert et se plaint des retentissements psychologiques des traitements infligés. Sur le plan procédural, le requérant expose que la procédure judiciaire n’a pas été indépendante, les juridictions s’étant trop reposées sur les résultats de l’enquête administrative. Questions aux parties : 1. Le requérant a-t-il été soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention du fait : - de l’usage de la force le 5 juillet 2007 par le personnel pénitentiaire dans le quartier « sport » du centre de détention ? - de l’usage de la force le même jour alors qu’il était conduit au quartier disciplinaire ? - du fait qu’une lance à incendie a été employée dans la nuit pour éteindre un début d’incendie dans sa cellule, inondant celle ci et le trempant, ainsi que son sac où se trouvaient ses affaires personnelles ? - des conditions dans lesquelles il a été extrait de force de sa cellule le 6 juillet 2007 au matin, peu ou pas habillé et emmené vers la salle d’attente sur un drap que les surveillants traînaient sur le sol ? - du fait qu’il a été transféré dans un fourgon vitré seulement recouvert d’un drap qui glissait et qu’il ne pouvait retenir car il était menotté ? 2. Eu égard à la protection procédurale contre les traitements inhumains ou dégradants, l’enquête menée en l’espèce par les autorités internes suite à la plainte avec constitution de partie civile du requérant a-t-elle satisfait aux exigences de l’article 3 de la Convention ? |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Relation avec les professionnels de la sécurité |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-175708 |
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