
Document public
Titre : | Arrêt relatif au décès d’un sidéen en cellule de dégrisement au commissariat de police, Taïs c. France |
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Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 01/06/2006 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 39922/03 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Relation avec les professionnels de la sécurité [Mots-clés] Ivresse publique et manifeste [Mots-clés] Garde à vue [Mots-clés] Décès [Mots-clés] Séropositivité [Mots-clés] Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) [Mots-clés] Droit à la vie [Mots-clés] Traitement inhumain et dégradant [Mots-clés] Police nationale [Mots-clés] Défaut d'attention à l'état de santé [Mots-clés] Durée de la procédure |
Résumé : |
Le fils des requérants, alors âgé de 33 ans et atteint du SIDA, fut retrouvé mort dans une cellule du commissariat où il avait été placé quelques heures auparavant dans un état éthylique aggravé et contusionné du fait de divers incidents survenus entre son arrestation et son incarcération. Des contrôles visuels à l’intérieur de la cellule avaient été effectués tous les quarts d’heure entre minuit, heure de son incarcération, et 5 heures du matin, puis toutes les demi-heures, jusqu’à la découverte de son corps inanimé à 7 h 30 du matin. La mention « Rien à signaler » apparaît à côté des heures de contrôle. Une enquête sur les causes de la mort fut ouverte. Les parents déposèrent une plainte pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner et non-assistance à personne en danger. Au terme de l’instruction, le juge indiqua qu’il ressortait des expertises, auditions et investigations, que le traumatisme mortel était probablement intervenu au cours de la détention, que son origine restait inconnue, que l’hypothèse la plus probable était une chute de la banquette en ciment de la cellule, volontaire ou involontaire, et que les policiers de garde ne pouvaient être mis en cause. Il conclut l’information par un non-lieu. La cour d’appel releva que les faits à l’origine du décès s’étaient déroulés au commissariat de police et ordonna de réentendre les personnes présentes sur les lieux à l’heure présumée du décès. Les policiers déclarèrent n’être jamais entrés dans la cellule jusqu’à la découverte du corps. La cour d’appel estima que la cause la plus probable du décès était une chute brutale sur un angle vif de la banquette en ciment, la victime dont le taux d’alcoolémie était encore élevé, épuisée par une nuit agitée et au cours de laquelle elle avait crié contre les policiers et lutté contre le sommeil, ayant dû glisser sur ses excréments répandus depuis 4 h du matin, et tomber de tout son poids et de toute sa hauteur, sans réflexe de protection, comme cela arrive fréquemment aux alcooliques. Le pourvoi en cassation formé par les requérants fut rejeté.
Invoquant l’article 2 (droit à la vie), les requérants allèguent que le décès de leur fils a été occasionné par de graves défaillances des autorités et que l'enquête sur les circonstances de sa mort n’a pas été effective. Ils soutiennent également sur le terrain de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) que leur fils a été soumis à des mauvais traitements dans les heures qui ont précédé son décès. Le Gouvernement entend démontrer que la responsabilité des policiers ne saurait être mise en cause, ni directement en raison de violences qui auraient été infligées, ni indirectement pour défaut d’assistance lors de la détention du fils des requérants en cellule de dégrisement. Par ailleurs, il soutient que la délivrance d’un certificat médical de non admission ne peut être considéré comme un manquement à l’origine du décès du fils des requérants. Enfin, il demande à la Cour de rejeter également pour défaut manifeste de fondement le grief tiré des mêmes articles sous leur angle procédural. La Cour européenne des droits de l'homme condamne la France pour violation de l'article 2 sous son volet substantiel(cinq voix contre deux) et déclare qu'en ce qui concerne l’allégation de coups portés par la police, le Gouvernement n’a pas été en mesure de fournir une explication plausible concernant la discordance, voire la contradiction, entre le rapport médical établi avant le placement en cellule et le rapport d’autopsie, ni à propos de l’origine des blessures constatées sur la victime alors que les faits à leur origine sont survenus pendant la détention. Le Gouvernement n’a pas donné d’explication convaincante quant au décès survenu au cours de la détention. Quant au manque allégué de soins et de surveillance, les autorités avaient l’obligation de protéger la vie du fils des requérants mais il y eut de graves manquements et négligences : aucun policier n’est entré dans la cellule de dégrisement entre 1 heure et 7 h 30 du matin, alors que le fils des requérants aurait crié toute la nuit jusqu’à quelques instants avant sa mort, ses cris ayant été interprétés comme liés à son état d’excitation et dus à son alcoolémie et non comme des cris de souffrance ou d’appels au secours, et l’on ne lui apporta aucun soin alors qu’une très mauvaise odeur émanait de la cellule dès 4 h du matin. Des mesures particulières pouvaient être prises pour sauver le fils des requérants : le rapport de contre‑expertise indiqua que les lésions présentées n’auraient pas été forcément mortelles si elles avaient été diagnostiquées à temps dans un autre contexte. Au vu de l’état de santé de la victime dès son entrée au commissariat, et des longues heures qui suivirent, les policiers auraient au moins dû appeler un médecin pour s’assurer de l’évolution de son état de santé. L’inertie des policiers face à la détresse physique et morale de l’intéressé et l’absence de surveillance policière effective et de surveillance médicale ont enfreint l’obligation de protéger la vie des personnes en garde à vue. La Cour condamne également la France pour violation de l'article 2 sous son volet procédural(unanimité) et déclare que la procédure ayant duré dix ans, la longue instruction ayant été dans l’incapacité de déceler la cause réelle de la mort, l’incertitude sur celle-ci grandissait avec le temps qui passait. La contre-expertise a été rendue trois ans après les faits, et le juge d’instruction n’a entendu lui-même les policiers que quatre ans après les faits. La compagne de la victime n’a pas été entendue de manière circonstanciée alors qu’elle était présente dans le commissariat de police la nuit du drame et que son témoignage était crucial car, à l’exception des policiers, elle était l’unique témoin auditif. Une reconstitution des faits, refusée par le juge d’instruction, aurait pu permettre d’établir avec plus de certitude l’origine de la lésion mortelle. La Cour accorde enfin des sommes pour préjudice moral et frais et dépens au titre de l'article 41. |
ECLI : | CE:ECHR:2006:0601JUD003992203 |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-75556 |