
Document public
Titre : | Décision 2017-029 du 26 janvier 2017 relative à des mesures et un licenciement discriminatoires en lien avec l'état de santé, la grossesse et l'activité syndicale |
Accompagne : | |
Auteurs : | Défenseur des Droits, Auteur ; Emploi, biens et services privés, Auteur |
Type de document : | Décisions |
Année de publication : | 26/01/2017 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 2017-029 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Documents internes] Observations devant une juridiction [Documents internes] Observations devant une juridiction avec décision rendue [Documents internes] Position suivie d’effet [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Emploi [Mots-clés] Harcèlement [Mots-clés] État de santé [Mots-clés] Emploi privé [Mots-clés] Activité syndicale ou mutualiste [Mots-clés] Rémunération [Mots-clés] Licenciement [Mots-clés] Grossesse |
Résumé : |
La réclamante est opérateur de marché dans une banque. Son contrat de travail prévoit un bonus annuel soumis à des conditions liées aux performances de la société, de l’équipe, et de la salariée, ainsi qu’au respect de certaines règles. Elle perçoit un bonus de 15.000 euros pour l’année 2010 et de 145.000 euros pour 2011.
Au mois d’août 2012, elle est victime d’un grave accident de la route, puis placée en arrêt maladie jusqu’au 15 octobre 2012. Elle indique que le mi-temps thérapeutique préconisé à son retour n’aurait pas été respecté. Elle ne perçoit aucun bonus pour l’année 2012. Elle annonce sa grossesse à son employeur en février 2013. En raison de complications, elle est placée en arrêt et doit mettre fin à sa grossesse en mars 2013. A sa reprise en juin 2013, elle est informée que son licenciement pour motif économique est envisagé. En septembre 2013, elle annonce une nouvelle grossesse à son employeur. Elle ne perçoit aucun bonus pour 2013. Elle sera en congé maternité puis parental de janvier à septembre 2014. A son retour, elle est affectée à un nouveau poste. Elle dénonce le fait de ne pas retrouver son emploi précédent, de ne pas avoir d’objectifs clairs et réalisables, et de ne pas faire l’objet d’évaluations. Elle saisit le conseil de prud’hommes de Paris qui condamne son employeur à lui verser 80.000 euros de bonus pour les années 2012 à 2014 et 1.000 euros de dommages et intérêts pour discrimination. La société a interjeté appel de ce jugement. Le 2 juin 2015, la candidature de la réclamante est inscrite sur les listes des prochaines élections professionnelles. Le 5 juin 2015, quelques heures avant l’envoi de cette liste, elle se voit remettre en main propre une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif personnel. Le conseil de prud’hommes de Paris, saisi en référé, lui accorde la protection prévue par l’article L.2411-7 du Code du travail pour les candidats imminents aux élections professionnelles. Le comité d’établissement rend un avis défavorable quant à son licenciement. Le 2 juin 2016, la cour d’appel de Paris infirme l’ordonnance de référé lui accordant la protection contre les mesures de licenciement. Elle est licenciée pour insuffisance professionnelle dès le 9 juin 2016. Elle n’a perçu aucun bonus pour les années 2014, 2015 et 2016. S’estimant en présence d’éléments laissant supposer une discrimination liée à son état de santé, ses grossesses, son sexe, et ses activités syndicales, le Défenseur des droits a interrogé la société mise en cause sur les éléments objectifs justifiant la situation. S’agissant du non-respect du mi-temps thérapeutique préconisé : le Défenseur des droits constate que la société mise en cause n’apporte pas la preuve d’avoir tout mis en oeuvre pour respecter les préconisations médicales visant la réclamante à son retour d’arrêt maladie. S’agissant du changement de poste de la réclamante à son retour de congé maternité : la société indique avoir décidé de ne pas réaffecter la réclamante à son poste antérieur lors de sa reprise, car la suppression de son poste était alors envisagée. Le Défenseur des droits constate qu’il s’agit donc d’un choix de l’employeur et non d’une impossibilité de lui rendre son poste antérieur, ce qui est contraire aux dispositions du code du travail. S’agissant du lien entre le licenciement de la réclamante et l’imminence de sa candidature aux élections professionnelles : la société fait valoir que la cour d’appel de Paris a estimé que la salariée n’apportait pas la preuve de la connaissance, par son employeur, de l’imminence de sa candidature. Pour autant, le Défenseur des droits estime que la salariée apporte suffisamment d’éléments qui laissent supposer que l’employeur avait connaissance de l’imminence de cette candidature. Le Défenseur des droits constate ensuite qu’en l’absence d’objectifs précis et réalisables fixés à la salariée depuis plusieurs années, son licenciement pour insuffisance professionnelle ne peut perdurer, conformément à une jurisprudence constante de la Cour de cassation. S’agissant de l’absence de bonus, la société fait valoir que l’attribution de bonus est une décision relevant de son pouvoir de direction, et que la réclamante n’a pas perçu de bonus depuis 2012 comme tous les salariés dont la suppression de poste a été envisagée dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi, cette explication étant objective et étrangère à tout motif discriminatoire. Or, le Défenseur des droits souligne d’une part que le premier plan de sauvegarde de l’emploi n’a été lancé qu’au courant de l’année 2013 : il ne peut donc pas raisonnablement affecter les bonus attribués pour l’année 2012. Le Défenseur des droits relève d’autre part que cette explication n’est pas conforme aux conditions fixées par le contrat de travail qui unissait les parties. Enfin, le Défenseur des droits constate que la société mise en cause n’a pas communiqué les éléments permettant de savoir quels salariés ont perçu et quels salariés n’ont pas perçu de bonus depuis 2012. Or, le fait, pour un employeur, de ne pas communiquer les éléments justificatifs sollicités lorsqu’un salarié s’estime victime de discrimination constitue un élément laissant supposer la discrimination (Aff. CJUE 19 avril 2012, aff. C 415-10, Galina Meister contre Speech Design Carrier Systems GmbH). Au regard de ces éléments, le Défenseur des droits considère que la société mise en cause n’apporte pas la preuve, qui lui incombe (article L.1134-1 du code du travail) que la situation dénoncée par la réclamante est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination liée à son état de santé, ses grossesses, son sexe, et ses activités syndicales. Le Défenseur des droits décide de présenter ses observations devant la cour d’appel. |
Suivi de la décision : |
Dans un arrêt du 15 juin 2017, la cour d’appel de Paris a retenu que : - la banque a « effectué une différence de traitement au détriment de Madame X par rapport aux autres directeurs pour des motifs sans rapport avec le critère de performance visé au contrat de travail. La suppression des bonus est donc injustifiable ». La banque est condamnée à verser 352.000 euros à la salariée au titre des rappels de bonus pour les années 2011 à 2015 et des congés payés afférents ; - la banque « échoue à démontrer que les décisions qu'elle a prises à l'égard de Madame X en matière de rémunération et d'évaluation professionnelle étaient exemptes de toute discrimination » et la condamne à 50.000 euros de dommages et intérêts de ce chef ; - la salariée n’établit pas la matérialité d’éléments laissant présumer un harcèlement moral et la déboute de ses demandes au titre du harcèlement moral ; - la salariée n’établit pas que son employeur avait connaissance de son inscription sur les listes électorales au moment où il a mis en œuvre la procédure de licenciement à son encontre : la demande de nullité du licenciement est donc rejetée ; - la banque ne démontre pas l’insuffisance professionnelle de la réclamante, le licenciement est donc jugé sans cause réelle et sérieuse, la banque est condamnée à verser à la réclamante 144.000 euros à ce titre. Ainsi, la position du Défenseur des droits est suivie d’effet puisque la cour d’appel de Paris retient la discrimination alléguée et condamne la société mise en cause à verser à la salariée 550.500 euros toutes causes confondues. Néanmoins, on peut regretter que la cour d’appel n’ait pas été au bout de son raisonnement en ne constatant pas un lien de causalité entre le licenciement, qu’elle estime injustifié, et les discriminations constatées dans l’exécution du contrat. |
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