Document public
Titre : | Conclusions relatives au fait qu’imposer à une salariée d’ôter son foulard islamique lors de ses contacts avec la clientèle constitue une discrimination directe illicite : Asma Bougnaoui et Association de défense des droits de l'homme c. Micropole SA |
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Auteurs : | Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 13/07/2016 |
Numéro de décision ou d'affaire : | C-188/15 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Licenciement [Mots-clés] Entreprise [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Discrimination directe [Mots-clés] Discrimination indirecte [Mots-clés] Religion - Croyances [Mots-clés] Emploi privé [Mots-clés] Droit européen [Géographie] France |
Résumé : |
En France, une femme musulmane, employée comme ingénieur d’études par une société privée de conseil informatique, portait pendant son travail, à certains moments de son choix, un foulard islamique qui lui couvrait la tête tout en lui laissant le visage dégagé. Une partie de ses tâches consistait à rencontre des clients de la société dans leurs locaux. L’un des clients de la société s’étant plaint de ce que le foulard de la salariée avait « gêné » ses collaborateurs et ayant demandé à ce qu’il n’y ait « pas de voile la prochaine fois », il a été demandé à la salariée de confirmer qu’elle respecterait cette demande lors de la prochaine visite. La salariée s’y étant opposée, elle a été licenciée en juin 2009. L’employeur a conclu que son refus d’ôter le foulard rendait impossible la poursuite de son activité au service de l’entreprise. L’intéressée a alors contesté son licenciement devant les juridictions françaises.
Saisie de l’affaire, la Cour de cassation demande à la CJUE si l’interdiction de porter le foulard islamique lors de la fourniture de services de conseil informatique à des clients peut être considérée comme une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » et échappe ainsi au principe de non-discrimination fondée sur la religion ou les convictions, prévu dans la directive 2000/78/CE portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Dans ses conclusions, l’avocat général relève que les régimes juridiques des Etats membres présentent de grandes différences en matière de port de tenues vestimentaires religieuses et de signes religieux au travail. L’avocat général estime que la liberté de manifester sa religion ou ses convictions, en tant que partie intégrante de la liberté de religion, relève du champ d’application de la directive. Du fait de sa religion, la salariée a été traitée de manière moins favorable, puisqu’un autre ingénieur d’études qui n’aurait pas choisi de manifester ses croyances religieuses n’aurait, lui, pas été licencié. L’avocat général en conclut que le licenciement de l’intéressée constitue une discrimination directe fondée sur la religion ou les convictions. Ce licenciement ne pourrait être licite que si l’une des dérogations prévues par la directive venait à s’appliquer. La directive prévoit que, dans certaines circonstances, une différence de traitement qui devrait normalement être considérée comme une discrimination peut échapper au champ d’application de la directive si elle est basée sur une caractéristique qui constitue une « exigence essentielle ». L’avocat général considère que cette dérogation doit être interprétée de manière stricte et que l’exigence doit être « essentielle et déterminante » et proportionnée à l’objectif légitime poursuivi. Il considère que cette dérogation ne peut pas s’appliquer en l’espèce. Rien n’indique que le fait de porter un foulard islamique empêcherait l’intéressée d’accomplir ses tâches en tant qu’ingénieur d’études. D’ailleurs, la lettre de licenciement souligne expressément ses compétences professionnelles. Bien que la liberté d’entreprise soit un principe général du droit de l’Union, cette liberté connaît des limites, dont la nécessité de protéger les droits et libertés d’autrui. Le risque de préjudice financier pour l’employeur ne peut pas justifier une discrimination directe. L’avocat général examine ensuite les autres dérogations possibles en matière de discrimination directe et conclut qu’aucune d’entre elles ne peut s’appliquer en l’espèce. Premièrement, l’avocat général rejette l’idée que l’interdiction faite aux travailleurs de porter une tenue vestimentaire religieuse lors de leurs contacts avec la clientèle puisse être nécessaire à la protection des droits et libertés individuels indispensables au fonctionnement d’une société démocratique. En tout état de cause, rien n’indique en l’espèce que le législateur national aurait adopté une quelconque mesure donnant effet à cette dérogation. Deuxièmement, la dérogation prévue en faveur des «activités professionnelles d’églises et d’autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions» n’est pas applicable étant donné la nature des activités de la société en cause. L’avocat général en conclut que le licenciement de l’intéressée constitue une discrimination directe à laquelle aucune des dérogations prévues par la directive ne s’applique. Enfin, l’avocat général examine brièvement la situation juridique dans le cas où la présente affaire serait considérée comme un cas de discrimination indirecte (soit parce que la Cour s’écarterait de ses conclusions soit parce que des éléments supplémentaires viendraient à être présentés en ce sens devant la juridiction nationale). L’avocat général observe que le règlement d’une entreprise imposant un code vestimentaire parfaitement neutre est susceptible de créer une discrimination indirecte. Une telle règle peut être justifiée si elle poursuit un objectif légitime et est proportionnée à cet objectif. Un code vestimentaire neutre pourrait aller dans l’intérêt commercial de l’employeur et, partant, constituer un objectif légitime. L’avocat général remarque cependant que, dans la présente affaire, il est improbable que l’interdiction édictée par l’employeur puisse être considérée comme proportionnée. Néanmoins, ce sera en définitive à la juridiction nationale qu’il incombera de statuer sur ce point. |
En ligne : | http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=181584&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=308577 |