
Document public
Titre : | Arrêt relatif au défaut d'une procédure effective sur les allégations de violences sexuelles d'une mineure par son beau-père : G.U. c. Turquie |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 18/10/2016 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 16143/10 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Protection de l'enfance [Mots-clés] Violence sexuelle [Mots-clés] Cadre familial [Mots-clés] Absence d'enquête [Mots-clés] Victime [Géographie] Turquie |
Résumé : |
L'affaire concerne le grief d'une jeune fille, âgée de 17 ans à l'époque des faits, selon lequel elle aurait été violée et agressée sexuellement par son beau-père âgé de 62 ans.
La Cour d'assises avait prononcé l'acquittement, se basant entre autres sur les différents rapports médicaux, estimant notamment que l'intéressé était impuissant à la date des faits dénoncés et ne pouvait donc pas avoir commis les faits reprochés. La Cour de cassation a confirmé l'acquittement, relevant en outre que l'infraction d'attouchements était prescrite. Devant la CEDH, la jeune femme se plaigne de l'absence d'une enquête effective sur les faits dénoncés et d'avoir été victime d'un crime resté impuni, dénonçant avoir dû témoigner au cours d'une audience publique et le fait que le rapport médical suggérait qu'elle aurait consenti aux actes dénoncés. La CEDH juge à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) en raison de l'absence d'enquête effective et de l'article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l'homme. Sans s'exprimer sur la culpabilité du beau-père, la CEDH juge en particulier que les autorités turques n'ont pas usé de toutes les possibilités qui s'offraient à elles pour établir les circonstances des actes, ni pris en considération la vulnérabilité particulière de la jeune fille et les facteurs psychologiques propres aux viols de mineurs commis en milieu familial. La démarche adoptée par la Cour d'assises n'était pas de nature à satisfaire aux exigences inhérentes aux obligations de l’État tendant à l'adoption de dispositions pénales et à leur application effective. En particulier, la CEDH estime qu'en absence de preuve directe, les juges nationaux auraient dû procéder à une appréciation scrupuleuse de la crédibilité des déclarations de la victime. Or, en l'espèce, les juges se sont contentés de recueillir les déclarations de la victime et de son agresseur lors de la seule audience, sans chercher à confronter leurs déclarations. La Cour relève que la Cour d'assises n'a pas accordé la foi aux déclarations de la mineure, sans s'en expliquer, et que les autorités n'ont entrepris aucune démarche pour entendre la victime dans des conditions favorables à l'obtention d'un récit plus précis. La Cour souligne le caractère traumatisant de la publicité des débats (la cour d'assises n'ayant pas répondu à la demande de huis clos), le fait que son audition au cours d'une enquête publique était de nature à porter atteinte à sa dignité et à sa vie privée et le fait qu'elle n'a été accompagnée par une psychologue à aucun stade de la procédure. Elle estime que ni les autorités d'enquête, ni les juges ne semblent avoir pris en considération la vulnérabilité particulière de la mineure, ni les facteurs psychologiques propres aux viols de mineurs commis en milieu familial, particularité qui auraient pu expliquer les réticences de la victime à signaler la violence et à décrire les faits. Par ailleurs, la Cour considère la Cour d'assises a fait appel à la mention de corpulence de l'accusé et de la victime pour étayer sa démonstration de non-culpabilité du beau-père en s'appuyant sur des notions auxquels la loi ne faisait pas référence et qui faisaient abstraction de "l'état de sidération" qui peut accompagner certains faits de violence sexuelle et expliquer l'absence de réaction de la victime. En outre, la Cour d'assises avait accordé un poids décisif au rapport médical ayant conclu à l'impuissance de l'intéressé à partir des tests réalisés plusieurs années après les faits dénoncés. Les contestations formulées par l'avocat de la victime et ses demandes de clarification ont été rejetées alors même que ce rapport a été un élément essentiel du procès ayant contribué à emporter la conviction des juges. Le fait de conclure à l'impuissance de l'intéressé a conduit les juges à écarter automatiquement les allégations de viol. De plus, l'examen de la Cour d'assises a porté uniquement sur le viol et nullement sur l'agression sexuelle alors même que l'intéressé était aussi poursuivi de ce chef. Enfin, aucune expertise psychologique du beau-père visant à déceler une éventuelle tendance perverse n'a été réalisée, ni une expertise psychologique pour déterminer la nature des rapports entre la jeune fille et son présumé agresseur. |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-167488 |