Document public
Titre : | Décision MSP-2016-262 du 13 octobre 2016 relative à la décision du Préfet de fermer temporairement le dispositif d’accueil des demandeurs d’asile en place dans son département |
Accompagne : | |
Auteurs : | Défenseur des droits, Auteur ; Droits fondamentaux des étrangers, Auteur |
Type de document : | Décisions |
Année de publication : | 13/10/2016 |
Numéro de décision ou d'affaire : | MSP-2016-262 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Asile [Mots-clés] Nationalité [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Relation des usagers avec les services publics [Mots-clés] Droit des étrangers [Mots-clés] Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) [Mots-clés] Préfecture [Documents internes] Observations devant une juridiction [Documents internes] Observations devant une juridiction avec décision rendue [Documents internes] Position non suivie d’effet |
Mots-clés: | CESEDA ; guichet d’accueil des demandeurs d’asile (GUDA) |
Résumé : |
Le Défenseur des droits a été saisi, par l’intermédiaire d'une association, d’une réclamation relative à la décision du préfet de fermer temporairement les guichets d’accueil des demandeurs d’asile (GUDA) de son département.
Cette décision, qui intervient dans le contexte d’une augmentation sans précédent de la demande d’asile ayant abouti à la saturation du dispositif d’accueil, contrevient aux dispositions européennes et internes relatives au délai d’enregistrement des demandes d’asile. En effet, la loi prévoit que l’enregistrement d’une demande d’asile doit avoir lieu, au plus tard, trois jours après la présentation de la demande, ce délai pouvant être porté à dix jours lorsqu’un nombre élevé de personnes demande l’asile en même temps (article L. 741-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Elle a en outre pour effet de maintenir en situation irrégulière des personnes relevant du droit d’asile, les exposant au risque de se voir interpellées ou éloignées à tout moment, et de retarder leur accès aux conditions matérielles d’accueil, au risque de les maintenir dans des conditions de dénuement contraires à la dignité humaine et susceptibles de caractériser des traitements inhumains ou dégradants prohibés par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le fait que les personnes en quête d’une protection internationale puissent encore, en dépit de la fermeture du GUDA, demander l’asile à la frontière ou à la suite de leur interpellation ou de leur placement en rétention, et qu’elles soient fondées, lorsque leur situation particulière le justifie, à saisir le juge des référés, ne saurait en aucun cas suffire à considérer comme satisfaites les exigences fixées par le droit européen et interne en matière d’accès à la procédure d’asile. Enfin, le Défenseur des droits s’inquiète de ce que le préfet semble procéder à un filtrage des demandes d’asile devant faire l’objet d’un enregistrement. Un tel filtrage, opéré en dehors de tout cadre légal, conduit à priver les demandeurs d’asile du droit de voir leur situation examinée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), seul compétent pour statuer en première instance sur le bien-fondé des demandes d’asile. Par ailleurs, s’il était confirmé qu’un tel filtrage vise principalement à écarter les ressortissants haïtiens de la procédure d’asile, il pourrait caractériser une discrimination fondée sur la nationalité dans la jouissance du droit d’asile constitutionnellement et conventionnellement protégé. |
Suivi de la décision : |
Parallèlement à la saisine du Défenseur des droits, l’association réclamante en engagé une procédure en référé-liberté devant le tribunal administratif. Par ordonnance du 7 octobre 2016, le juge des référés a rejeté la requête, considérant que, dans le contexte d’un afflux considérable des demandes d’asile, la décision du préfet de fermer temporairement le GUDA ne portait pas atteinte au droit d’asile dès lors que les possibilités de demander l’asile à la frontière et en rétention administrative étaient toujours ouvertes et qu’il était loisible aux personnes en quête d’une protection internationale de saisir le juge des référés à titre individuel lorsqu’il apparaissait que l’impossibilité à laquelle elle se trouvait confrontée de faire enregistrer leur demande entrainait pour elles des conséquences graves, compte tenu compte tenu notamment de leur âge, de leur état de santé ou de leur situation de famille, et eu égard au délai écoulé depuis leur entrée sur le territoire (TA de la Guyane, réf., 7 oct. 2016, n°1600700). L’association réclamante a interjeté appel de cette décision devant le juge des référés du Conseil d’Etat. Par décision n° MSP-2016-262, le Défenseur des droits a présenté des observations devant la juridiction saisie. Il relevait que la décision du préfet contrevenait aux dispositions européennes et internes relatives au délai d’enregistrement des demandes d’asile. Il précisait à cet égard que, si les possibilités de demander l’asile à la frontière ou en rétention, de même que celle de saisir le juge des référés de situations particulières, demeuraient ouvertes, cela ne saurait suffire à considérer comme satisfaites les exigences fixées par le droit européen et interne en matière d’accès à la procédure d’asile. Le Défenseur observait en outre qu’en maintenant en situation irrégulière des personnes relevant du droit d’asile, la décision du préfet les exposaient au risque de se voir interpelées ou éloignées à tout moment et retardait d’autant leur accès aux conditions matérielles d’accueil, au risque de les placer dans des conditions de dénuement contraires à la dignité humaine et susceptibles de caractériser des traitements inhumains ou dégradants prohibés par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Enfin, le Défenseur des droits faisait état de ses inquiétudes relatives à l’existence de ce qui semblait s’apparenter à un système de filtrage réalisé en amont de l’enregistrement des demandes d’asile et en dehors de tout cadre légal. A cet égard, il rappelait que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) était seul compétent pour statuer en première instance sur le fond des demandes d’asile et qu’une procédure spécifique était prévue par les textes pour accélérer le traitement des demandes d’asile soupçonnées d’être frauduleuses ou infondées. Par ordonnance du 7 novembre 2016, le juge des référés du Conseil d’Etat a rejeté la requête présentée par l’association réclamante. En premier lieu, il a considéré que si, confrontée « à une situation d’une extrême difficulté », l’administration avait certes suspendu l’examen des demandes d’asile auquel elle était tenue de procéder, cette décision était néanmoins provisoire et visait à pouvoir assurer, dans des délais raisonnables, une réorganisation complète du dispositif d’accueil – le Préfet ayant annoncé une réouverture du GUDA au 1er décembre 2016. En second lieu, le juge a retenu que l’administration avait préservé la possibilité d’examiner des demandes formulées par des personnes « présentant une vulnérabilité particulière ». En dernier lieu, le juge précisait que, dans des cas individuels, la situation de certains demandeurs d’asile était toujours susceptible de conduire le juge des référés à faire usage de ses pouvoirs pour assurer le respect des droits de l’intéressé. Au vu de ces circonstances, le juge concluait que la décision du Préfet, ne caractérisait pas, à la date de la requête, une méconnaissance grave et manifeste « des obligations de caractère général qu’impose le droit d’asile ». Par cette décision, le juge des référés du Conseil d’Etat semble faire prévaloir le « principe de réalité » sur l’effectivité du droit fondamental à demander l’asile. Validant, dans un contexte de saturation du dispositif, le principe d’un accès à ce droit limité aux situations de vulnérabilité identifiées, cette décision n’est pas sans rappeler les solutions retenues par la même juridiction s’agissant du droit inconditionnel à l’hébergement d’urgence, le juge admettant que l’intensité des obligations incombant à l’administration dans ce cadre puissent varier non seulement en fonction de l’état de saturation des dispositifs en place, mais également de la vulnérabilité des personnes concernées. Or, si le droit européen et interne prévoit qu’un examen de la vulnérabilité particulière de certains demandeurs d’asile puisse être effectué pour prioriser l’accès à l’hébergement en centre d’accueil pour demandeur d’asile, il est plus difficile d’admettre qu’un tel filtre selon le degré de vulnérabilité puisse être opéré au niveau de l’accès à la procédure d’asile, alors même que la Cour européenne des droits de l’Homme a rappelé la vulnérabilité inhérente à la qualité de demandeur d’asile (CEDH, M.S.S. c. Belgique et Grèce, req. n° 30699/09) et que le droit européen et interne fixe à l’administration des obligations précises de célérité pour l’enregistrement des demandes d’asile. En tout état de cause, il est regrettable que le juge n’ait pas tenu compte des observations formulées par le Défenseur des droits sur le caractère flou des critères retenus par le préfet pour procéder, en dehors de toute base légale, à ce filtrage des demandes d’asile en fonction de la vulnérabilité des personnes. Dans un contexte général d’accroissement de la demande d’asile, on peut craindre que cette décision incite d’autres préfectures à se prévaloir du principe de réalité pour procéder à la fermeture provisoire de leur guichet unique ou mettre en place des systèmes de filtrages des demandes, cela au détriment du droit d’asile conventionnellement et constitutionnellement garanti et au risque de voir se développer des pratiques de tri potentiellement discriminatoires. |
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