Document public
Titre : | Décisions relatives au fait que l’absence de mise à l’abri d’un mineur isolé étranger constitue une carence de nature à exposer ce mineur à des traitements inhumains ou dégradants |
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est cité par : |
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Auteurs : | Conseil d'État, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 27/07/2016 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 400055 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Mineur non accompagné [Mots-clés] Accès à la prise en charge [Mots-clés] Condition de prise en charge [Mots-clés] Protection de l'enfance [Mots-clés] Relation des usagers avec les services publics [Mots-clés] Traitement inhumain et dégradant [Géographie] Nord |
Résumé : |
Plusieurs jeunes étrangers sans famille en France, ont été confiés par le juge des enfants à l’aide sociale à l’enfance jusqu’à leur majorité. Malgré cette décision et plusieurs ordonnances de référés enjoignant au département de fournir un hébergement aux intéressés, ces derniers vivent dans un jardin public avec une soixantaine d’autres mineurs isolés étrangers dans des conditions précaires et insalubres. A la demande des intéressés, le juge des référés a, d’une part, enjoint au département de leur proposer une solution d'hébergement, incluant le logement et la prise en charge de leurs besoins alimentaires quotidiens, dans un délai de trois jours, sous astreinte jusqu'à ce que les intéressés aient été effectivement pris en charge par le département et, d'autre part, prononcé la même injonction à l'encontre du préfet, en cas de carence du département à l'issue d'un délai de dix-sept jours.
Le Conseil d’État rejette la requête du département qui contestait les ordonnances du premier juge. Il considère qu’il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants, de prendre en charge l'hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu'un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le juge des référés saisi doit apprécier, dans chaque cas, en tenant compte des moyens dont l'administration départementale dispose ainsi que de la situation du mineur intéressé, quelles sont les mesures qui peuvent être utilement ordonnées dans le cadre d’un référé-liberté et qui, compte tenu de l'urgence, peuvent revêtir toutes modalités provisoires de nature à faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale, dans l'attente d'un accueil du mineur dans un établissement ou un service autorisé, un lieu de vie et d'accueil ou une famille d'accueil si celui-ci n'est pas matériellement possible à très bref délai. Il ajoute qu’il appartient, en tout état de cause, aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti. Lorsque la carence des autorités publiques expose des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à de tels traitements, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure de référé-liberté, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence. Toutefois, la compétence des autorités titulaires du pouvoir de police générale ne saurait avoir pour effet de dispenser le département de ses obligations en matière de prise en charge des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance. Par suite, le juge des référés ne pourrait prononcer une injonction à leur égard que dans l'hypothèse où les mesures de sauvegarde à prendre excéderaient les capacités d'action du département. Le département fait valoir qu’il a créé environ quatre-vingts places dédiées à la mise à l'abri et à l'accueil de mineurs isolés étrangers, qu'il accueille environ 300 de ces mineurs et près de 200 jeunes majeurs non accompagnés en maisons d'enfants à caractère social et qu'il finance à titre provisoire 65 places supplémentaires, dont certaines à l'auberge de jeunesse. Il explique également que le dispositif ainsi mis en place est saturé, dès lors que 775 mineurs non accompagnés lui étaient confiés par décision judiciaire au 30 septembre 2015. En l’espèce, le Conseil d’État considère qu’à défaut de prise en charge effective par le département, les jeunes hommes se trouvaient dans une situation de précarité et de vulnérabilité extrêmes, vivant avec d'autres mineurs isolés étrangers dans un parc public, dans des conditions insalubres. Il juge qu’eu égard ces conditions de vie, l’abstention du département à prendre en compte les besoins élémentaires des intéressés en ce qui concerne l'hébergement, l'alimentation, l'accès à l'eau potable et à l'hygiène, malgré leurs placements à l'aide sociale à l'enfance et les ordonnances du juge des référés, fait apparaître une carence caractérisée, qui est de nature à exposer ces mineurs à des traitements inhumains ou dégradants et porte ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le Conseil considère que si le département a consenti des efforts importants pour la prise en charge des mineurs isolés étrangers, en nombre croissant, il ne résulte toutefois pas de l'instruction qu'aucune solution ne pourrait être trouvée pour mettre à l'abri les intéressés et assurer leurs besoins quotidiens dans l'attente d'une prise en charge plus durable conformément aux prévisions du code de l'action sociale et des familles. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que les jeunes hommes auraient, par leurs attitudes, fait obstacle à leurs mises à l'abri ou à leurs hébergements par le département. |
Note de contenu : | N.B.: Ils s'agit de plusieurs décisions (n° 400055, 400056, 400057, 400058) rendues par le Conseil d’État le même jour. |
En ligne : | https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000032940984 |