Document public
Titre : | Arrêt relatif à l’impossibilité d’engager une action en recherche de paternité en raison de la prescription : Calin et autres c. Roumanie |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 19/07/2016 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 25057/11 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Filiation [Mots-clés] Prescription [Mots-clés] Enfant [Mots-clés] Paternité [Géographie] Roumanie |
Résumé : |
L’affaire concernait l’impossibilité pour les trois requérants, nés hors mariage (entre 1967 et 2003), d’engager des actions en recherche de paternité au motif que les délais de prescription d’un an (à compter de la naissance de l’enfant ou la fin de cohabitation de la mère avec le père présumé) pour ce faire était échus.
Ils n’ont pas pu bénéficier de la réforme législative de 2007 qui prévoit que le droit de l’enfant d’introduire une action en recherche de paternité est imprescriptible et que cette réforme s’appliquait également aux enfants nés hors mariage avant son entrée en vigueur. En effet, alors que les requêtes des intéressés devant le juge du fond étaient pendantes, la Cour constitutionnelle a considéré qu’au nom du principe de non-rétroactivité de la loi civile, les nouvelles dispositions ne pouvaient s’appliquer aux enfants nés hors mariage avant l’entrée en vigueur de la réforme. Invoquant en particulier l’article 8 de la Convention, les trois requérants se plaignaient devant la CEDH d’une atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale en raison de l’impossibilité d’établir leur filiation paternelle compte tenu du délai de prescription qui leur était opposé. La CEDH rappelle que la naissance, et singulièrement les circonstances de celle-ci, relève de la vie privée de l’enfant, puis de l’adulte, garantie par l’article 8. Le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, et le droit d’un individu à de telles informations est essentiel du fait de leurs incidences sur la formation de la personnalité. Ceci inclut l’obtention des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle, par exemple l’identité de ses géniteurs. La Cour relève que la décision de la Cour constitutionnelle visait à protéger le principe de non-rétroactivité de la loi civile et, ainsi, de s’assurer de la sécurité juridique. La Cour admet en effet que l’établissement d’une filiation peut avoir des répercussions considérables non seulement sur la vie privée et familiale des proches parents du père présumé, mais aussi sur leur situation patrimoniale, ce qui permet au législateur de réglementer les questions liées à la filiation. L’ingérence litigieuse tendait donc à la protection des « droits et libertés d’autrui ». Ensuite, la Cour considère que le délai d’un an existant dans la législation roumaine n’est pas déraisonnable du point de vue de sa durée. En revanche, le point de départ de ce délai pose problème, étant donné que, dans ces affaires, il fait courir un délai qui ne permet aucunement à l’enfant de pallier l’absence d’action entreprise durant sa minorité par la mère ou son représentant légal. La Cour constate ainsi que la fixation du délai de prescription, tel qu’il a produit ses effets en l’espèce, a restreint le droit des intéressés à engager des actions en recherche de paternité au point d’éteindre ce droit. Elle constate également que la législation ne prévoit aucune exception qui aurait permis aux intéressés d’engager eux-mêmes une action en recherche de paternité dès leur majorité ou dans un certain délai après l’entrée en vigueur de la loi qui a rendu imprescriptible le droit des enfants nés après son entrée en vigueur d’engager une action en recherche de paternité. Par ailleurs, la Cour remarque que la Cour constitutionnelle a accordé un plus grand poids à l’intérêt général représenté par la sécurité juridique ainsi qu’aux droits et intérêts concurrents du père et de sa famille qu’au droit des requérants à connaître leurs origines. La Cour estime toutefois qu’une restriction aussi radicale apportée au droit des requérants à engager une procédure en recherche de paternité devait appeler de la part des juridictions roumaines une mise en balance des intérêts en cause. Or, tel n’a pas été le cas. En effet, pour débouter les requérants de leurs actions, les juridictions internes n’ont, à aucun moment, pris en considération leur droit à connaître leur ascendance et à voir établir leur filiation paternelle. La CEDH considère qu’il n’est pas suffisamment démontré en quoi l’intérêt général qu’il y avait à protéger la sécurité juridique des liens familiaux ou l’intérêt du père présumé l’emportait sur le droit des requérantes à avoir au moins une chance de faire établir en justice leur filiation paternelle. La Cour rappelle à cet égard que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs. Enfin, la Cour prend note de l’évolution en 2007 du droit roumain dans le domaine de la filiation, évolution qui se montre favorable à la prévalence de la réalité biologique sur les fictions légales. Toutefois, en raison de la décision de la Cour constitutionnelle, cette évolution n’a pas pu profiter aux requérants. En conséquence, même si l’Etat dispose d’une marge d’appréciation dans ce domaine, la CEDH considère que juridictions internes n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu et que, dès lors, l’ingérence dans le droit des requérants au respect de leur vie privée n’a pas été proportionnée aux buts légitimes poursuivis. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention. |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng/?i=001-164915 |