Document public
Titre : | Décision MLD-2016-188 du 21 juillet 2016 relative au traitement différencié de cheminots étrangers, appelés "chibanis", en matière d’évolution de carrière |
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Accompagne : | |
Auteurs : | Défenseur des droits, Auteur ; Emploi, biens et services privés (2016-2023), Auteur |
Type de document : | Décisions |
Année de publication : | 21/07/2016 |
Numéro de décision ou d'affaire : | MLD-2016-188 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Documents internes] Rapport annuel 2019 [Documents internes] Observations devant une juridiction [Documents internes] Position suivie d’effet [Documents internes] Observations devant une juridiction avec décision rendue [Mots-clés] Nationalité [Mots-clés] Emploi [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Carrière [Mots-clés] Promotion [Mots-clés] Transport ferroviaire [Mots-clés] Emploi privé [Mots-clés] Harcèlement [Mots-clés] Harcèlement moral [Mots-clés] Origine |
Résumé : |
Le Défenseur des droits est amené à se prononcer sur la situation collective de plusieurs centaines de cheminots de nationalité étrangère embauchés dans les années 70 sous un statut particulier par une importante société de chemins de fer. Ces agents ont été exclus du cadre permanent de cette société, qui en conditionne l’accès par la nationalité française.
Ces agents ont été embauchés suite à un besoin de main d’œuvre et ont signé un contrat de travail pour travailleur étranger entrant dans la catégorie des contrats dits PS25. Ces contrats PS25 étaient réservés à l’ensemble des personnes embauchées sur des emplois non prévus au « Dictionnaire des filières », ainsi qu’à celles exerçant des métiers prévus au Dictionnaire des filières mais ne satisfaisant pas aux conditions d’admission du cadre permanent. La première question de cet avis, d’ordre général, porte sur la licéité de la clause de nationalité au sein de cette société. La seconde porte sur les conséquences de l’exclusion au statut pour ces cheminots de nationalité étrangère du fait de l’existence de cette clause en termes d’évolution de carrière et bénéfice de divers avantages. Ces questions sont analysées au regard des sources de droit international et interne applicables à leur situation à l’époque des faits. L’avis du Défenseur des droits s’inscrit dans le cadre d’un vaste contentieux concernant plus de 800 agents dont les affaires ont été jugées devant le conseil de prud’hommes en sa formation de départage qui a condamné la société à payer des dommages intérêts aux requérants estimant qu’ils avaient subi tout au long de leur carrière un traitement discriminatoire en raison de leur nationalité. La société a interjeté appel de cette décision. Le Défenseur des droits décide de présenter ses observations devant la cour d’appel. |
Suivi de la décision : |
Par un arrêt du 31 janvier 2018 (qui est l’un des 848 rendus dans cette affaire), la chambre sociale de la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement de première instance en ce qu’il a reconnu l’existence d’une discrimination dans le déroulement de la carrière de ces cheminots de nationalité étrangère et au titre de leurs retraites. Elle a rejeté l’argument de la société de transport ferroviaire tendant à dire que les demandes en réparation de la discrimination et relatives à la retraite étaient prescrites. La cour a considéré que la discrimination en raison de la nationalité caractérisée par une différence de traitement dans l’évolution de la carrière par rapport à celles des agents statuaires découle d’une série d’actes, de décisions concrètes qui sont étalés dans le temps en sorte que c’est seulement lorsque la collaboration a cessé, soit à la date de la rupture du contrat de travail, en l’espèce en 2007, que le salarié a pu disposer des éléments suffisants pour avoir connaissance de la réalité de la discrimination. Cet argumentaire concernant la prescription était celui soutenu par le Défenseur des droits dans son avis. Ensuite, la cour considère que les faits présentés et matériellement établis au vu des éléments communiqués, des bilans sociaux, des termes mêmes de règlements, des annexes et du statut, pris dans leur ensemble, laissent présumer l’existence d’une discrimination en raison de la nationalité ou de l’origine, alors même qu’ils occupaient un emploi relevant du dictionnaire des filières réservé aux agents du cadre permanent, et ce, dans des conditions d’activité strictement analogues aux dits agents. La cour poursuit en expliquant que la société de transport ferroviaire ne démontre pas que la différence de traitement ainsi constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. L’employeur faisait notamment valoir que la non application au salarié, agent contractuel, du statut réservé aux seuls agents du cadre permanent était fondé sur la clause de nationalité française, incluse dans le statut à valeur règlementaire et qu’elle était justifiée par l’une de ses missions consistant à participer depuis sa création à l’exercice de la puissance publique. La cour relève que l’employeur a observé lui-même que la légitimité de cette clause et son opportunité pouvaient être discutées et qu’en 2006, un représentant de l’employeur avait expliqué que l’incorporation des agents étrangers au cadre permanent, résultant d’une suppression de la clause de nationalité, représenterait un enjeu trop lourd financièrement pour l’employeur. Il convient de relever que dans son avis de portée générale, le Défenseur des droits a largement analysé la condition de nationalité encore en vigueur à la la société de transport ferroviaire en indiquant que cette dernière était contraire aux principes de non-discrimination et devait être déclarée nulle. La cour note en outre que les cheminots de nationalité étrangère, ont effectivement occupé des emplois normalement réservés aux agents statutaires désignés comme étant seuls habilités pour remplir la mission d’intérêt général. Enfin, la cour considère qu’il n’est pas davantage justifié que cette clause constitue le moyen approprié et proportionné pour régler les conséquences des questions relatives au renouvellement ou au retrait des titres de séjour en France, sur la poursuite de la collaboration entre l’établissement public et les cheminots étrangers. Cette clause est contraire à l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, prohibant la discrimination, combiné avec l’article 1er du protocole additionnel n°1 à la Convention. La cour conclut que si l’employeur a, à compter de 2004, mis en place des mesures de nature à atténuer les différences de traitement dans le déroulement de carrière entre les agents statutaires et les agents contractuels occupant les mêmes fonctions, il n’est pas établi que les décisions de l’employeur prises tout au long de la carrière de l’agent reposaient sur des éléments objectifs à toute discrimination directe ou indirecte en lien avec la nationalité du salarié, la clause de nationalité ne pouvant en aucun cas justifier ces différences de traitement dans aucun des domaines liés à l’évolution des carrières, ni en matière de retraite. Pour évaluer le préjudice matériel lié aux évolutions de carrière, la cour a appliqué la méthode Clerc en termes de panel de comparaison. La cour a condamné la société de transport ferroviaire en cause d’appel à payer aux cheminots étrangers dits les chibanis (cheveux blancs en arabe) des dommages et intérêts supérieurs à ceux fixés en première instance. Ces dommages et intérêts incluent un préjudice de carrière, un préjudice de retraite évalué à la hausse, un préjudice lié à l’absence de formation, et un préjudice moral pour absence de diligence de l’employeur dans le traitement du dossier. Après près de 12 ans de combat judiciaire, la société de transport ferroviaire a ainsi été condamnée à verser environ 170 millions à ces cheminots discriminés. La société de transport ferroviaire a décidé de ne pas se pourvoir en cassation. Ce dossier revêt une importance fondamentale de par le mode d’intervention du Défenseur des droits qui a rendu un avis de portée générale sur demande de la présidente de la cour d’appel de Paris, par le nombre de demandeurs à l’instance (848) révélant une discrimination systémique due à l’application d’une clause de nationalité discriminatoire, par les sommes en jeu et par le retentissement médiatique et symbolique de ces dossiers. Ce dossier des « chibanis » doit nécessairement être analysé à la lumière des autres dossiers de discrimination en raison de l’origine à la société de transport ferroviaire, discriminations qui perdurent aujourd’hui encore. |
Documents numériques (1)
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