Document public
Titre : | Décision MDS-2016-109 du 25 novembre 2016 relative aux circonstances du décès d’un jeune homme, dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, à l’Isle sur Tarn (81), dans le contexte des manifestations en opposition au projet de construction du barrage de Sivens |
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est cité par : | |
Accompagne : | |
Auteurs : | Défenseur des droits, Auteur ; Déontologie de la sécurité, Auteur |
Type de document : | Décisions |
Année de publication : | 25/11/2016 |
Numéro de décision ou d'affaire : | MDS-2016-109 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Documents internes] Rapport annuel 2019 [Documents internes] Recommandation [Documents internes] Recommandation individuelle et générale [Documents internes] Règlement en droit [Documents internes] Rappel des textes [Documents internes] Position partiellement suivie d’effet [Documents internes] Proposition de réforme [Documents internes] Réforme de nature réglementaire [Mots-clés] Manifestation [Mots-clés] Déontologie de la sécurité [Mots-clés] Violence [Mots-clés] Arme [Mots-clés] Usage de la force [Mots-clés] Décès [Mots-clés] Relation avec les professionnels de la sécurité |
Mots-clés: | Grenade offensive |
Résumé : |
Le Défenseur des droits s’est saisi d’office par décision n°MDS-2014-180 des circonstances du décès d’un jeune homme, M. X., dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, au cours des manifestations en opposition au projet de construction du barrage de Sivens.
Ce week-end là, alors que les travaux de déboisement du site du futur barrage avaient déjà débutés, était organisé un grand rassemblement en vue de donner un écho national à l’opposition, de longue date, au projet de barrage. Ce rassemblement avait lieu à 2 kilomètres de la zone des travaux et d’un espace enclos où étaient stockés les engins de chantier, appelé la « zone vie ». En prévision, le préfet du Tarn avait obtenu des renforts en unités mobiles, en sécurisation et en réserve. Il avait par ailleurs été convenu entre la préfecture, les forces de l’ordre et les organisateurs de l’évènement que cette zone serait vide, pour éviter tout risque de provocation et de dégradation. La veille du rassemblement, en pleine nuit, les forces mobiles en réserve ont été mobilisées pour intervenir en urgence après l’agression des vigiles qui gardaient la « zone vie » par des manifestants radicaux. Le lendemain, au regard de ces évènements, la mission des forces de l’ordre telle qu’elle avait été initialement prévue a été modifiée : les gendarmes devaient désormais défendre la « zone vie » et éviter toute intrusion de manifestants en vue de la reprise des travaux le lundi. Cet objectif a été validé par le préfet. Le samedi, en milieu de l’après-midi, alors que le rassemblement avait débuté dans une ambiance conviviale, en marge du rassemblement les évènements ont rapidement dégénéré avec l’arrivée de personnes plus radicales masquées, équipées de boucliers et de divers projectiles. Celles-ci ont notamment lancé des bouteilles incendiaires sur les forces de l’ordre. Les affrontements ont duré jusqu’à 19 heures, puis la situation est revenue au calme après le départ des manifestants violents. Durant le soir et la nuit, seul un escadron est resté pour maintenir la défense de la « zone vie ». Vers minuit, environ 150 personnes se sont installées à proximité et ont allumés des feux. Du point de vue des manifestants, ils voulaient empêcher que les gendarmes ne s’avancent. Du point de vue des militaires, ils sentaient une agression qui se préparait. La situation se dégradant rapidement, la plus haute autorité militaire responsable du dispositif a donné l’ordre de faire usage des armes, face à la menace représentée par les manifestants les plus virulents. Un peu avant 1h40 du matin, un gendarme mobile, chef de groupe, a pris la décision d’envoyer une grenade offensive dans le but de faire barrage à un groupe de personnes qu’il avait considéré comme menaçant. Rapidement, des gendarmes ont annoncé avoir vu un corps tomber à terre et lorsque un peloton a ramené la personne dans l’un des véhicules de l’escadron, les gestes de premiers secours ont été pratiqués, en vain. Le décès a été constaté sur place à 1h50 et ce n’est que le lendemain matin que l’identité de M. X. a été établie. L’enquête judiciaire sur les circonstances du décès de X., notamment les rapports d’autopsie, a permis d’établir qu’il a été causé par l’explosion d’une grenade offensive. Il convient de préciser que les seuls témoignages dont a disposé le Défenseur des droits sur les circonstances dans lesquelles X. a été mortellement blessé, sont ceux des gendarmes mobiles qui étaient sur place. Les quelques témoins qui ont pu être entendus dans le cadre de l’enquête judiciaire et de l’enquête citoyenne menée par la Ligue des droits de l’Homme, n’exposent pas de façon certaine avoir assisté au tir qui a atteint le jeune homme, et personne ne s’est manifesté pour apporter un témoignage direct sur les faits. A l’issue de ses investigations, le Défenseur des droits fait les principaux constats et les recommandations suivantes : - Constate que les faits sont intervenus dans un contexte sensible marqué par une occupation prolongée de la zone et un durcissement de la contestation, depuis le début des travaux au mois de septembre, qui s’est traduit tout particulièrement par des heurts au cours de la nuit précédente ; que, par conséquent, le risque de troubles au cours de la nuit était prévisible ; - Constate le manque de clarté et les incompréhensions entourant les instructions données aux forces de l’ordre par l’autorité civile, préfet et commandant du groupement de gendarmerie départementale, ainsi que les incertitudes sur l’état d’esprit dans lequel elles devaient assurer leur mission : fermeté ou apaisement, entre défense de la zone ou riposte ou retrait des militaires ; - Constate que l’autorité civile était absente durant la nuit et qu’en conséquence, le choix de l’adaptation des objectifs et du dispositif à mettre en œuvre, malgré ce flou, a été laissé à la seule appréciation de la hiérarchie opérationnelle sur le terrain. Le Défenseur des droits considère que cette absence est problématique dans ce type de situation particulièrement sensible et prévisible; - Recommande ainsi de rappeler à leurs obligations inscrites dans le code de la sécurité intérieure, le préfet du Tarn, autorité civile responsable du choix du dispositif de maintien de l’ordre et du suivi de sa mise en œuvre, et le commandant de groupement de gendarmerie départementale, deuxième plus haute autorité civile engagée dans l’opération de maintien de l’ordre, et responsable hiérarchique des militaires intervenus ; - Dans la lignée des conclusions du rapport issu de la commission d’enquête sur les missions et modalités du maintien de l’ordre républicain, il recommande de réaffirmer la nécessité de la présence de l’autorité civile sur le terrain des opérations mais, compte-tenu des contraintes que cela est susceptible de comporter, qu’en outre le préfet établisse « une liste réduite et impérative des personnes à qui [il] pourra, en cas de nécessité, déléguer ses pouvoirs et sa responsabilité ; » - Ne remet pas en cause l’appréciation qui a été faite sur le terrain de la gravité de la menace par les forces de l’ordre en présence, ni de la proportionnalité de la réponse apportée, compte tenu de cette incertitude juridique, du manque de clarté des instructions reçues, de l’absence d’autorité civile, de la difficulté à apprécier a posteriori la gravité de la menace et de l’ampleur des violences, dans un tel contexte ; - Néanmoins, constatant que la classification juridique des armes regroupe au sein d’une même catégorie un ensemble d’armes sans distinguer les effets et la dangerosité de chacune d’elles, il considère que la règlementation actuelle « complexifie la gradation recherchée », selon les termes mêmes des deux Inspections générales de la police et de la gendarmerie nationale ; - Ainsi, si le Défenseur des droits ne remet pas en cause le choix des forces de l’ordre qui ont fait un usage successif de leurs armes, alors que le cadre réglementaire le leur permet, il recommande de préciser la classification des armes, au sein d’une même catégorie, en tenant compte des circonstances dans lesquelles elles peuvent être utilisées et en précisant la dangerosité de chaque arme, ainsi que les conséquences qu’elles peuvent produire en terme de dommages corporels et matériels, que ce soit dans le cadre d’une utilisation conforme, ou d’une utilisation non conforme à leur mode d’emploi ; - Recommande de revoir la rédaction des instructions sur l’usage des armes en maintien de l’ordre, afin d’expliciter le principe de la gradation dans le choix des armes en fonction de l’évolution de la situation, conformément au principe d’absolue nécessité ; - Sur le lancer de la grenade ayant atteint M. X., il considère que les éléments réunis au cours de ses investigations ne permettent pas d’établir avec certitude les circonstances dans lesquelles le maréchal des logis-chef D. a effectué son lancer ; - Néanmoins, compte-tenu, en premier lieu, de la tension qui régnait, de la confusion des instructions données par l’autorité civile, – comprises comme une défense ferme de la zone –, du nombre de manifestants, de la fatigue, de l’obscurité, du terrain ; compte-tenu du fait, en second lieu, que le maréchal des logis-chef a pris plusieurs précautions avant d’effectuer son lancer – il a regardé aux jumelles à intensificateur de lumière et a adressé des avertissements à la voix – le Défenseur des droits estime que le gendarme n’a pas commis d’imprudence et n’a pas manqué à ses obligations déontologiques et professionnelles ; - Sur la grenade offensive à l’origine du décès de M. X., le Défenseur des droits constate qu’elle a été utilisée sans cadre d’emploi précis et protecteur, ce qui n’est pas admissible ; - Constate que la grenade offensive à l’origine du décès de X. est désormais interdite dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre ; - Eu égard à sa dangerosité avérée, cette arme étant composée de substances explosives dangereuses qui peuvent être fatales en cas de contact, le Défenseur des droits approuve la décision du ministre de l’Intérieur d’interdire l’utilisation de la grenade offensive ; - Ainsi, il recommande au ministre de l’Intérieur de vérifier l’ensemble des cadres d’emploi des armes explosives, notamment la grenade lacrymogène instantanée, toujours en dotation, et de les rectifier le cas échéant afin que ces règles d’emploi soient précises et protectrices, en prévoyant a minima une formation sur sa dangerosité, une information sur les dommages susceptibles d’être occasionnés, l’interdiction du lancer en cloche, la mise en œuvre du tir par une équipe ou un binôme, le respect d’une distance de sécurité ; - Il recommande enfin que l’interdiction définitive de l’usage de la grenade offensive OF-F1, se traduise par la suppression de celle-ci de la liste des armes à feu susceptibles d’être utilisées par les représentants de la force publique pour le maintien de l’ordre public, fixée à l’article D. 211-17 du code de la sécurité intérieure. |
NOR : | DFDM1600109S |
Collège Défenseur des droits : | Déontologie de la sécurité |
Nombre de mesures : | 8 |
Suivi de la décision : |
Dans un courrier daté du 30 janvier 2017, le ministre de l'Intérieur informe le Défenseur des droits que, suite à ses recommandations : -Les textes ont bien été rappelés au préfet du Tarn et au commandant de groupement de gendarmerie départementale du Tarn ; -La présence du préfet a été affirmée ; -Une lettre commune du 31 mars 2017 (non encore publiée) va plus clairement définir, dans le cadre du maintien de l’ordre public, les cas dans lesquels les représentants de la force publique « ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent » (article L. 211-9 du CSI) ; -La grenade OF-F1 a été retirée de la liste réglementaire des armes à feu par décret n° 2017-1029 du 10 mai 2017, modifiant l’article D. 211-17 du code de la sécurité intérieure ; -Un groupe de travail est en cours afin de préciser la classification des armes, au sein d’une même catégorie, en tenant compte des circonstances dans lesquelles celles-ci peuvent être utilisées et en précisant pour chacune sa dangerosité ; des éléments seront communiqués dans la lettre commune du 31 mars 2017. -Un groupe de travail (GT) sur la doctrine et les procédures de maintien de l’ordre a été mis en place, dont les travaux doivent aboutir prochainement. Le Défenseur des droits a demandé la communication des travaux de ce GT. |
Documents numériques (1)
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