Document public
Titre : | Jugement correctionnel relatif à la relaxe d'une directrice de l'école maternelle poursuivie pour violences à l'égard des enfants âgés de trois à cinq ans |
Titre suivant : | |
Auteurs : | Tribunal de grande instance de Limoges, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 15/01/2016 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 15176000003 |
Format : | 28 p. |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Enseignant [Mots-clés] Maltraitance [Mots-clés] Établissement d'enseignement [Mots-clés] Audition [Mots-clés] Harcèlement [Mots-clés] Enfant [Mots-clés] Éducation [Mots-clés] Preuve [Mots-clés] Discernement |
Résumé : |
L’affaire concerne les violences morales et physiques qu’auraient subies vingt-quatre élèves âgés de 3 à 5 ans de la part de la directrice de l’école maternelle. Cette dernière, institutrice depuis 1987 est devenue directrice de l’école à la rentrée 2011/2012. Il lui est reproché d’avoir volontairement commis de violences à l’égard des enfants entre février 2012 et février 2015.
Les parents font état de changement de comportement de leurs enfants (refus d’aller à l’école, terreurs nocturnes, énurésie, gestes violents). Les enfants se sont plaint notamment que la directrice leur a hurlé dessus, les tapaient (claques, fessées, cheveux tirés, bras tordus), les enfermaient dans le placard ou le dortoir, leur mettait du scotch sur la bouche. D’autres enfants disaient avoir été poussés ou jetés dans le couloir. Par ailleurs, il est reproché à la directrice d’avoir tenu des propos humiliants à l’égard des enfants. Certains propos sont corroborés par les témoignages de plusieurs employés de l’école. Le ministère public a requis un an de prison avec sursis et une interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole auprès de mineurs de 15 ans pendant 3 ans. La prévenue invoque une machination et fait valoir qu’une génération de parents n’accepte plus l’autorité de directrice comme de maîtresse de l’école. Elle fait part des divergences entre elles et les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) et décrit la différence des leurs rôles respectifs par rapport à l’enfant : rôle maternant pour l’ATSEM et rôle d’apprentissage et d’observation pour la maîtresse de l’école. Tout d’abord, le tribunal correctionnel rejette le supplément d’information estimant que l’ouverture d’une information est devenue aujourd’hui inopportune. Il note notamment que l’inspection académique n’envisage pas de procédure disciplinaire sur la base des faits rapportés. Il estime que le dossier est exclusivement à charge et qu’une décision de justice ne saurait se fonder sur de propos tenus ou réputés à avoir été tenus par des enfants âgés d’environ 3 à 5 ans. Selon le juge, cela serait contraire à la raison et au droit positif qui n’envisage la prise en compte de la parole d’un mineur qu’à condition qu’il soit capable de discernement. Le juge considère qu’une partie des faits, antérieurs à 2012, étaient prescrits. En examinant la situation de chaque enfant, le tribunal considère d’une manière générale qu’en absence d’éléments objectifs étayant les violences évoquées, les propos réputés tenus par les enfants (pour certains 2-3 ans après les faits) ne peuvent fonder la culpabilité de la directrice. Il écarte les déclarations d’une ATSEM corroborant les dires des enfants en estimant que par leur excès, elles manquent de crédibilité. La directrice réfute les accusations de violences. Elle explique que certains enfants souffraient de la séparation d’avec leurs parents ou étaient agités. Elle explique que d’une manière générale, un enfant pouvait temporairement être isolé dans le dortoir ou ailleurs le temps de se calmer ou pour le punir et que cet isolement est autorisé par le règlement départemental des écoles maternelles. Le juge estime que dans ces conditions, cet isolement ne peut s’analyser comme un fait de violence. Un autre enfant aurait dit avoir été mis au placard à sorcières par la directrice. Celle-ci explique que ce placard était un coin à poupées dans lequel les enfants se mettaient bien que cela soit interdit et qu’ils étaient alors réprimandés. Le tribunal estime que l’existence de ce placard reste une énigme mais qu’il n’est pas interdit d’y voir l’expression de l’imaginaire et d’angoisses enfantines pouvant d’ailleurs trouver sa source bien en dehors de l’environnement scolaire. Concernant un autre enfant qui après avoir été puni avant le déjeuner aurait été oublié au dortoir, la directrice explique que l’enfant était très agité et bavard et qu’elle avait prévu de l’emmener en décalé à la cantine sachant qu’elle avait rendez-vous avec des parents à midi. Le juge estime que les circonstances précises de cet évènement restent assez obscures et que s’il s’agit d’un oubli, pour regrettable qu’il soit, il ne peut s’analyser comme un acte de violence volontaire à l’égard de l’enfant. Ensuite, la directrice reconnaît avoir mi du scotch sur la bouche d’un enfant qui était bavard et précise que les autres enfants avaient demandé à en avoir aussi et que cela a été un moment amusant pour tout le monde. Le tribunal estime que cette explication est parfaitement crédible et qu’elle ne dénote aucune notion de violences. Par ailleurs, la directrice reconnaît avoir eu un geste malheureux lors d’un incident à l’égard d’un enfant qui était selon elle souvent agité et pouvait mordre ses camarades. Elle explique avoir dû intervenir rapidement et fermement, après qu’elle s’était absentée momentanément, auprès de cet enfant pour le séparer des autres. Elle réfute toutefois avoir eu un geste volontaire de gifle dont se plaignait l’enfant et dont les dires étaient corroborés par les témoignages de l’ATSEM et d’une stagiaire. Le tribunal énonce que force est de constater que, hors les propos d’un enfant de trois ans qui ne peuvent raisonnablement fonder la culpabilité de la directrice, il n’existe pas d’éléments probant de violences commises par cette dernière sur cet enfant pendant la période où il était dans sa classe. Le juge estime que le certificat médical produit ne constate aucune trace physique. Il se dit perplexe quant à la notion des « traces psychologiques « évoquées par le médecin et dit ne pas pouvoir en tout cas les lier à un fait concret de violence. Le juge conclut que les faits donnent lieu à diverses versions et que le doute doit bénéficier à la prévenue. Il estime que s’il y a eu geste malheureux de sa part, l’élément intentionnel est manquant. La prévenue explique de manière générale que les enfants étaient, si nécessaire sermonnés et qu’elle pouvait les prendre fermement par le bras pour les emmener dans le couloir mais dément toutes violences. Les enfants agités pouvaient être sanctionnés sur la chaise à grandir. En outre, le tribunal considère que l’exercice de la « tour à grimper » qui nécessite selon la directrice pour l’enfant dépasser son appréhension, a pu naturellement susciter appréhension et crainte chez les enfants mais qu’on ne peut pour autant, sans légèreté, déduire de leur réactions (pleurs) que la prévenue a commis les violences sur ces enfants ne serait-ce qu’en insistant pour qu’ils fassent l’exercice. La directrice avait expliqué que contrairement ce que disait l’ATSEM, elle ne poussait pas les enfants mais les accompagnait par le geste pour les aider à sauter et pouvait insister (demander plusieurs fois) sinon l’enfant ne faisait rien. Enfin, une mère avait fait part des difficultés que rencontrait sa fille scolarisée dans la classe de la prévenue. Elle soutient que sa fille qui se plaignait avoir été tapée par la directrice ne faisait que pleurer, crier, ne voulait plus dormir seule, souillait ses vêtements, ne parlait plus, avait peur du noir et qu’elle fracassait et hurlait sur ses poupées. Le tribunal estime qu’il ne peut rien conclure de ce tableau, car outre qu’il est invérifiable, il n’est pas nécessairement inquiétant s’agissant de l’évolution d’un enfant de 3-4 ans entrant de surcroît dans l’univers scolaire. Selon le juge, à défaut de preuves objectives pouvant corroborer la parole enfantine, ces faits ne prouvent nullement l’existence de violences commises par la prévenue. Le tribunal estime que l’attitude des parents est surprenante puisque suite aux faits dénoncés par leur fille, ils n’ont nullement le lendemain ou les jours suivants demandé auprès de la maîtresse d’école un rendez-vous ce qui corrobore selon le juge l’appréciation de la prévenue selon laquelle les parents se montraient fuyants. Selon le juge, il semble qu’il était plus facile pour ces parents d’animer un collectif regroupant les parents d’enfants concernés et de se répandre en courriers auprès du rectorat ou du maire que de prendre un rendez-vous avec l’institutrice pour parler de leur enfant. De même, le tribunal considère que les témoignages de trois adultes (une stagiaire, une ATSEM et la prévenue) sur le fait que cette dernière aurait secoué un enfant et lui aurait hurlé dessus laissent place à une certaine subjectivité de ces témoins et ne caractérisent pas de manière suffisante une notion de violences volontaires à l’égard de cet enfant d’autant que les faits sont contestés par la prévenue et qu’il n’y a pas de raison de favoriser plus une version qu’une autre. Le tribunal conclut qu’au final, en présence d’un dossier exclusivement à charge pour la prévenue, de parties civiles dénonçant sans nuance la supposée incompétence professionnelle de la directrice lui reprochant même de bien connaître son dossier, il ne peut que rappeler qu’une décision de justice est fondée sur des éléments de droit et des éléments de fait prouvés et qu’elle ne peut se fonder sur des approximations, des déductions hasardeuses, des ressentis et des ressentiments. En conséquence, il prononce la relaxe de la directrice pour l’ensemble des faits non prescrits. |
Documents numériques (1)
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