Document public
Titre : | Arrêt relatif au refus d’adoption simple d’un enfant, né d'une mère porteuse à l’étranger, par le conjoint du père biologique |
Auteurs : | Cour d'appel de Dijon, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 24/03/2016 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 15/00057 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Adoption simple [Mots-clés] Consentement éclairé [Mots-clés] Famille homoparentale [Mots-clés] Intérêt supérieur de l'enfant [Mots-clés] Justice familiale [Mots-clés] Maintien de l'ordre public [Mots-clés] Situation de famille [Mots-clés] Autorité parentale [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Gestation pour autrui (GPA) [Mots-clés] Filiation [Mots-clés] Discrimination |
Mots-clés: | consentement |
Résumé : |
L’affaire concerne la demande d’adoption simple d’un enfant, né d’une mère porteuse aux États-Unis, par le conjoint du père biologique.
Les deux hommes, ressortissants français, qui forment un couple depuis 2001, se sont mariés en 2013, après avoir été liés par un PACS depuis 2004. Suite à une insémination artificielle dans le cadre d’une gestation pour autrui, une ressortissante américaine a donné naissance à l’enfant en août 2006. Le compagnon du requérant (père biologique) et la mère porteuse sont désignés comme étant les parents. Les deux hommes élèvent l’enfant ensemble depuis sa naissance. Le requérant fait valoir que compte tenu des déplacements familiaux internationaux de la famille, et dans l'éventualité du décès de son conjoint au cours de la minorité de l’enfant, l'établissement d'un double lien de filiation ne peut être que conforme à l'intérêt de l'enfant et qu’il s'agit avant tout de donner une existence juridique aux liens affectifs, éducatif et familial qui l’unit à l’enfant sa naissance et qui contribue de façon déterminante à son épanouissement personnel. Invoquant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le requérant soutient que l’existence de liens personnels étroits constitue en effet la notion de famille et qu'un enfant ne doit pas être désavantagé du fait qu'il a été mis au monde par une mère porteuse. Le juge de première instance a toutefois rejeté la demande du requérant aux motifs de l’insuffisance d’éléments susceptibles de caractériser l’existence de liens affectifs entre le requérant et l’enfant, de l’imprécision du certificat de non-rétractation du consentement de la mère à l’adoption et de la possibilité d’une éventuelle fraude à la loi à l’origine de la demande d’adoption simple. L’intéressé a interjeté appel. Le ministère public sollicite l’infirmation du jugement déféré et le prononcé de l’adoption simple. Toutefois, la Cour d’appel confirme le refus d’adoption. Tout d’abord, elle considère que la naissance de l’enfant a procédé d’une violation par le père des dispositions du droit français selon lesquelles est considérée nulle toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui. Cette nullité d’ordre public est selon la Cour éminemment substantielle en ce qu’elle a vocation à protéger deux principes essentiels du droit français (indisponibilité du corps humain ainsi que de l’état des personnes). La Cour ajoute que le législateur n’a pas entendu revenir sur ces principes en dépit des interrogations, récurrentes et pressantes, sur l'opportunité de modifier ou d'aménager cette prohibition, suscitées par l'émergence de situations compliquées et inégalitaires, où les intérêts particuliers des parents comme ceux des enfants peuvent être mis à mal, tenant notamment au fait que d'autres pays admettent dans leur droit la validité d'une telle convention. Ensuite, elle estime qu’il n’y a pas eu de fraude à la loi puisque le couple n’avait pas caché le recours à la gestation pour autrui devant les autorités consulaires françaises aux États-Unis, ni dans le cadre de la procédure d’adoption. Quant à l’incidence de la violation de la prohibition française de la gestation pour autrui au regard de l’intérêt de l’enfant, la Cour estime qu’il lui appartient d’examiner le bien-fondé de la demande d’adoption à l’aune du respect des deux principes rappelés (indisponibilité du corps humain ainsi que de l’état des personnes). Elle ajoute que leur prégnance interdit en effet qu’on puisse faire abstraction de leur violation au seul motif qu'un acte d'état civil français a été obtenu pour l'enfant, étant observé, en contrepoint des conclusions du représentant du ministère public, que la délivrance d'un tel acte n'entraîne pas ipso facto la reconnaissance en France du lien de filiation paternelle. Selon la Cour, l’incidence de la violation de la prohibition française de la gestation pour autrui n'est ni ignorée par principe (par la Cour européenne des droits de l'homme), ni à l'inverse entendue (par la Cour de cassation) comme devant entraîner nécessairement l'annulation d'un acte ou le rejet d'une demande qui en procéderaient. Elle précise qu’il appartient au juge de décider si le refus de donner effet à un acte ou celui de faire droit à une demande au motif d'une telle violation représente ou non une atteinte disproportionnée à l'intérêt de l'enfant et plus précisément à l'exercice de ses droits protégés au respect de sa vie familiale et de sa vie privée. La Cour énonce que s’agissant de la discrimination qui résulterait pour un enfant d'avoir été mis au monde par une mère porteuse, celle-ci doit également s'apprécier au travers du prisme de l'incidence de la violation de la prohibition de la gestation pour autrui selon le critère d'une atteinte disproportionnée ou non à son droit de n'être pas discriminé. En l’espèce, il ressort du dossier que l’enfant est considéré par tous comme parfaitement épanoui, que le requérant et son compagnon sont unanimement considérés comme ses deux pères et que l’enfant est connu à l’étranger sous leurs deux noms de famille. En conséquence, la Cour considère que sur le plan factuel (conditions d’existences concrètes de l’enfant) l’absence de lien de filiation entre le requérant et l’enfant n’est aujourd’hui aucunement préjudiciable à ce dernier. Le juge ajoute que sur le plan symbolique, priver l'enfant d'une filiation élective paternelle alors qu'il bénéficie d'une filiation paternelle biologique aujourd'hui active et opérante à tous égards ne porte pas sérieusement atteinte ni à son intérêt entendu de façon générale ni à ses droits protégés au respect de sa vie familiale et de sa vie privée. Sur le plan juridique (privation de l’enfant de certains droits), la Cour estime que l’hypothèse d’un décès du père biologique n’est qu’éventuelle et que le risque que ce décès survienne avant la majorité de l’enfant (âgé de 10 ans), en raison des déplacements internationaux de la famille, est très faible. Le juge ajoute qu’en cas de décès du père biologique tout porte à penser, que la mère biologique serait défaillante (ou tenue pour telle) pour exercer l’autorité parentale, compte tenu de son statut de mère porteuse. Dans ce cas, le requérant pourrait être nommé tuteur de l’enfant. La Cour considère qu’en dehors de cette hypothèse, le requérant ne vise aucune situation particulière au titre de laquelle une absence de lien juridique serait préjudiciable à l’enfant. La Cour relève néanmoins deux hypothèses : la succession et l’impossibilité pour le requérant d’exercer l’autorité parentale si l’adoption simple n’est pas prononcée. Or, la Cour estime que l’enfant pourrait hériter en qualité de légataire, avec un surcoût de droits de successions à payer. De même, l’absence d’autorité parentale par le requérant ne prive pas sérieusement l’enfant de son droit à ne pas être discriminé ou encore de son droit à une vie familiale, ni de son droit à une vie privée, en présence de l’exercice effectif par son père biologique de son autorité parentale. A cet égard, la Cour observe qu’en l’espèce, la situation de l’enfant n’est pas différente de celle de bon nombre d’autres enfants n’ayant de lien de filiation qu’avec un seul parent. La Cour d’appel conclut qu’en définitive, le refus de faire droit à la demande d’adoption de requérant en raison de la violation par son compagnon de la prohibition en droit français de la gestation pour autrui, ne porterait atteinte que dans une mesure relativement virtuelle aux droits et à l’intérêt de l’enfant, et en tout cas pas de façon disproportionnée. Enfin, concernant le consentement de la mère biologique dont la sincérité n’est pas discutable, la Cour estime toutefois que ce consentement est privé de portée juridique. En effet, la Cour considère que la mère n’a consenti à convenir d’être mère, non pas pour elle-même ou pour l’enfant à naître, mais uniquement pour permettre au conjoint du requérant de devenir le père de cet enfant. En conséquence, selon la Cour, ce consentement initial, dépourvu de toute dimension maternelle subjective ou psychique prive de portée juridique son consentement ultérieur à l’adoption de l’enfant dont elle a accouché, un tel consentement ne pouvant s’entendre, sauf à représenter un détournement de la procédure d’adoption et sachant que rien ne peut altérer le fait d’une maternité biologique, que comme celui d’une mère à renoncer symboliquement et juridiquement à sa maternité dans toutes ses composantes et en particulier dans sa dimension subjective ou psychique. |
Documents numériques (1)
![]() JP_CA_Dijon_20160324_15-00057_adoption_simple_couple_homosexuel_GPA.pdf Adobe Acrobat PDF |