Document public
Titre : | Arrêt relatif aux manquements de la Turquie à l’obligation de protéger les femmes contre les violences domestiques et à la discrimination à l’égard des femmes divorcées, exclues de la protection prévue par la loi : M.G. c. Turquie |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 22/03/2016 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 646/10 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Procédure pénale [Mots-clés] Violence conjugale [Mots-clés] Victime [Mots-clés] Divorce [Mots-clés] Situation de famille [Mots-clés] Traitement inhumain et dégradant [Mots-clés] Infraction [Mots-clés] Discrimination [Géographie] Turquie |
Résumé : |
L’affaire concerne les violences conjugales subies par une ressortissante turque, durant son mariage, les menaces dont elle a été victime après son divorce ainsi que les procédures qui ont suivies.
La requérante reprochait notamment aux autorités turques ne de pas avoir prévenu les violences dont elle a été victime. Elle se plaignait également de ne pas avoir pu vivre paisiblement et en sécurité avec ses enfants en raison des menaces pensant sur elle, de la durée excessive et de l’inefficacité de la procédure pénale toujours pendante. La CEDH juge à l’unanimité à la violation de l’article 3 (interdiction de la torture, des traitements inhumains ou dégradants) et de l’article 14 (interdiction de discrimination) combiné avec l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour juge en particulier que les autorités ont fait preuve de passivité, dans la mesure où les poursuites pénales ont été déclenchées plus de cinq ans et six mois après le dépôt de la plainte de la requérante à l’encontre de son conjoint, et que la procédure serait toujours pendante. Elle insiste sur la diligence particulière que requiert le traitement des plaintes relevant de violences domestiques et souligne que la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique impose aux Etats parties de prendre les mesures nécessaires pour que les enquêtes et les procédures judiciaires soient traitées sans retard injustifié. Par ailleurs, la CEDH estime qu’il incombe aux instances nationales de tenir compte de la situation de précarité et de vulnérabilité particulière, morale, physique et/ou matérielle de la victime, et d’en apprécier la situation dans les plus brefs délais. Selon la Cour, rien ne saurait expliquer, en l’espèce, la passivité du parquet pendant une période aussi longue avant le déclenchement des poursuites pénales, de même que la durée de la procédure initiée après le dépôt de la plainte. La CEDH constate donc que la manière dont les autorités ont mené les poursuites pénales ne saurait satisfaire aux exigences de l’article 3 de la Convention. Ensuite, la Cour juge qu’après le prononcé du divorce en septembre 2007 et jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi le 20 mars 2012, le cadre législatif en place ne garantissait pas à la requérante, divorcée, le bénéfice des mesures de protection inscrites dans cette loi, son application étant laissée à l’interprétation et à la discrétion du juge aux affaires familiales saisi. En effet, en raison de son libellé, la question de l’applicabilité aux couples non mariés ou divorcés, des mesures de protection prévues par cette loi, a donné lieu à des interprétations différentes de la part des instances nationales. La Cour estime donc que la requérante a dû vivre une situation propre à lui inspirer des sentiments de peur, de vulnérabilité et d’insécurité et qu’elle a dû, de nombreuses années après avoir saisi les instances nationales, dans la crainte des agissements de son ex-mari. Enfin, la Cour rappelle avoir déjà constaté que le manquement, même involontaire, des Etats à leur obligation de protéger les femmes contre les violences domestiques s’analyse en une violation du droit de celles-ci à une égale protection de la loi. Elle souligne, en outre, que selon l’article 3 de la Convention d’Istanbul, le terme « violences à l’égard des femmes » doit être compris comme une violation des droits de l’homme et une forme de discrimination à l’égard des femmes. A cet égard, elle relève que, dans les circonstances de la présente affaire, la passivité généralisée et discriminatoire de la justice turque est de nature à créer un climat propice à la violence. La CEDH considère que jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de 2012, le cadre législatif en vigueur ne garantissait pas aux femmes divorcées le bénéfice des mesures de protection prévues par cette loi, contre leur ex-conjoint. Par conséquent, la Cour conclut à la violation de l’article 14 combiné avec l’article 3. |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-161521 |