Document public
Titre : | Arrêt relatif au caractère discriminatoire du calcul de rente d’invalidité en Suisse ayant pour conséquence d’exclure des personnes travaillant à temps partiel après la naissance de leurs enfants : di Trizio c. Suisse |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 02/02/2016 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 7186/09 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Handicap [Mots-clés] Sexe [Mots-clés] Égalité femme - homme [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Discrimination indirecte [Mots-clés] Situation de famille [Mots-clés] Temps de travail [Mots-clés] Pension d'invalidité [Mots-clés] Allocation [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Temps partiel [Mots-clés] Invalidité [Géographie] Suisse |
Résumé : |
L’affaire concerne la méthode d’évaluation de l’invalidité, dite « méthode mixte », qui conduit à exclure du bénéfice de rente d’invalidité des personnes travaillant à temps partiel à la suite de la naissance des enfants et qui est appliquée dans 98% des cas aux femmes.
En juin 2002, la requérante a dû quitter son emploi à temps plein en raison de problèmes de dos qui se sont amplifiés suite à l’accouchement de ses jumeaux en février 2004. Elle s’est vu reconnaître un taux d’invalidité de 50% et a bénéficié d’une rente d’invalidité jusqu’à la naissance de ses enfants. Par la suite, l’office de l’assurance-invalidité a considéré que la requérante n’avait plus droit à la rente en appliquant la méthode dite « méthode mixte » qui présupposait que même si elle n’avait pas été frappée d’invalidité, elle n’aurait pas travaillé à temps plein après la naissance de ses enfants puisqu’elle voulait se consacrer à ses enfants et son foyer. L’intéressée avait indiqué qu’elle devrait continuer à travailler à temps partiel après la naissance de ses enfants pour des raisons financières. Le tribunal suisse a considéré que l’objectif de l’assurance-invalidité était de couvrir le risque de perte, pour de raison médicale, de la possibilité d’exercer une activité rémunérée ou d’effectuer à domicile des tâches domestiques ordinaires, et qu’il ne s’agissait pas de compenser des activités que l’assuré n’aurait de toute façon jamais effectuées, même étant valide et qu’en fin, que la méthode mixte permettait d’éviter qu’une personne aisée n’ayant jamais travaillé auparavant puisse se voir considérée comme étant invalide alors même qu’elle n’aurait probablement jamais travaillé, même en étant valide. Le tribunal a estimé que la méthode mixte n’engendrait aucune discrimination et conclut que l’intéressée n’avait pas droit à la rente d’invalidité. La requérante se plaint de la discrimination fondée sur le sexe. La CEDH rappelle que la progression vers l’égalité des sexes est un but important des États membres du Conseil de l’Europe et que seules des considérations très fortes peuvent à cet égard amener à estimer qu’une différence de traitement peut être compatible avec la Convention. La Cour note que la méthode mixte était appliquée dans 98% des cas aux femmes. La Cour estime que l’objectif de l’assurance-maladie, à savoir, couvrir le risque de perte, du fait de l’invalidité, de la possibilité d’exercer une activité rémunérée ou des travaux habituels que l’assuré pourrait effectuer s’il était resté en bonne santé, doit être apprécié à la lumière de l’égalité des sexes. Elle observe qu’il est vraisemblable que si la requérante avait travaillé à temps plein ou si elle s’était entièrement consacré aux tâches ménagères, elle aurait obtenu une rente d’invalidité partielle. La CEDH considère que le refus de reconnaître à l’intéressée le droit à la rente d’invalidité avait pour fondement l’indication de sa volonté de réduire son activité rémunérée pour s’occuper de ses enfants et de son foyer. De ce fait, pour la grande majorité des femmes souhaitant travailler à temps partiel à la suite de la naissance des enfants, la méthode mixte s’avère discriminatoire. La Cour constate par ailleurs que le rapport des autorités suisses de juillet 2015 a admis que cette méthode peut conduire à des taux d’invalidité plus bas et que la question se pose de savoir si cette méthode n’établit pas une discrimination, pour le moins indirecte. Aux yeux de la Cour, il s’agit là d’indications claires d’une prise de conscience du fait que la méthode mixte ne s’accorde plus avec la poursuite de l’égalité des sexes dans la société contemporaine où les femmes ont le souhait légitime de pouvoir concilier la vie familiale et intérêts professionnels. La CEDH note que certains tribunaux internes plaident aussi pour l’application d’une méthode plus favorable pour les assurés travaillant à temps partiel qui tienne suffisamment compte de leur handicap aussi bien dans le volet de leur activité rémunérée que dans le volet de leur activité au foyer. La CEDH estime que la différence de traitement subie par la requérante ne repose pas sur une justification raisonnable et juge, par quatre voix contre trois, qu’il y a eu violation de l’article 14 (interdiction de discrimination) combiné avec l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme. |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=003-5288189-6577204 |