Document public
Titre : | Arrêt relatif à une opération policière au domicile du suspect en présence de son épouse et leurs enfants mineurs : Slavov et autres c. Bulgarie |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 10/11/2015 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 58500/10 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Perquisition [Mots-clés] Violence [Mots-clés] Situation de famille [Mots-clés] Traitement inhumain et dégradant [Mots-clés] Harcèlement [Géographie] Bulgarie |
Résumé : |
Les requérants sont un homme d’affaire bulgare connu, son épouse et leurs deux enfants mineurs (nés en 2003 et 2006). L’affaire concerne une opération de police, largement médiatisé, au domicile des requérants en mars 2010. Leur domicile a été perquisitionné très tôt le matin par des agents spéciaux cagoulés et armés et le père de famille, suspecté d’avoir détourné les fonds publics, a été immobilisé de force, menotté, emmené à l’extérieur de la maison, allongé face contre sol et filmé par un cameraman.
Cet enregistrement, transmis aux médias, a été utilisé dans les publications et reportages sur les opérations de démantèlement de différents groupes criminels, la perquisition du domicile des requérants en faisant partie. Les requérants allèguent en particulier que l’intervention des forces de l’ordre à leur domicile leur avait causé un traumatisme psychologique s’analysant selon eux en un traitement dégradant. Ils estimaient en outre que la perquisition de leur logement et la saisie de divers objets personnels et moyens de communication constituaient une violation de leur droit au respect de leur domicile et de leur correspondance. Tout d’abord, la Cour considère que l’allégation selon laquelle l’épouse et les enfants étaient présents lors de l’opération de police est suffisamment établie. Elle estime que la présence d’arme au domicile des requérants ne saurait suffire à elle seule à justifier le recours à une équipe d’intervention spéciale ni le recours à une force aussi imposante que celle employée en l’espèce. Elle trouve frappant le fait que les forces de l’ordre ont procédé, à deux reprises, à la reconstitution de l’arrestation du requérant, devant ses proches et dans le but d’obtenir un reportage vidéo qui a été livré par la suite aux médias. La Cour considère que rien en l’espèce ne justifiait de procéder à cette remise en scène de l’arrestation. Elle estime que l’intéressé a éprouvé des sentiments d’humiliation et de rabaissement à ses propres yeux suffisamment intenses pour que le traitement qui lui a été réservé par les forces de l’ordre soit qualifié de « dégradant » au regard de l’article 3 de la Convention. Par ailleurs, elle considère que la présence éventuelle de membres de la famille du suspect sur les lieux de l’arrestation est une circonstance qui doit être prise en compte dans la planification et l’exécution de ce type d’opération policière. Tel n’était pas le cas en l’espèce et les forces de l’ordre n’ont pas envisagé d’autres modalités d’exécution de leur opération au domicile des requérants, par exemple retarder l’heure de l’intervention, voire procéder au redéploiement des différents types d’agents impliqués dans l’opération. La prise en compte des intérêts légitimes des membres de la famille en l’espèce était d’autant plus nécessaire que l’épouse n’était pas suspectée d’être impliquée dans les infractions pénales reprochées à son mari et que ses deux fils étaient psychologiquement vulnérables en raison de leur jeune âge (4 et 7 ans). La Cour observe également que l’absence d’un contrôle judiciaire préalable sur la nécessité et la légalité de la perquisition en cause a laissé entièrement à la discrétion des autorités policières et des organes de l’enquête pénale la planification de l’opération et n’a pas permis la prise en compte des droits et intérêts légitimes de l’épouse et de ses deux fils mineurs. Elle est d’avis que, dans les circonstances spécifiques de l’espèce, un tel contrôle judiciaire préalable aurait pu permettre la mise en balance de leurs intérêts légitimes avec l’objectif d’intérêt général d’appréhender les personnes suspectées d’avoir commis une infraction pénale. En ce qui concerne l’effet psychologique de l’intervention policière sur l’épouse et les enfants, la Cour rappelle que les opérations policières impliquant une intervention au domicile et une arrestation des suspects engendrent inévitablement des émotions négatives chez les personnes visées par ces mesures. En l’espèce, elle relève qu’il existe des éléments de preuve concrets et non contestés démontrant que l’épouse et les enfants ont été très fortement affectés par les événements en cause. La CEDH considère également que l’heure matinale de l’intervention policière et la participation d’agents spéciaux cagoulés ont contribué à amplifier les sentiments de peur et d’angoisse éprouvés par ces trois requérants. Elle estime dès lors que le traitement infligé a dépassé le seuil de gravité requis pour l’application de l’article 3 de la Convention et que ces trois requérants ont été soumis à un traitement dégradant. En conclusion, après avoir pris en compte toutes les circonstances pertinentes en l’espèce, la Cour considère que l’opération policière au domicile des requérants n’a pas été planifiée et exécutée de manière à assurer que les moyens employés se limitent à ceux strictement nécessaires pour atteindre ses buts ultimes, à savoir l’arrestation d’une personne suspectée d’avoir commis des infractions pénales et le rassemblement de preuves dans le cadre d’une enquête pénale. Les quatre requérants ont été soumis à une épreuve psychologique qui a généré chez eux de forts sentiments de peur, d’angoisse et d’impuissance, et qui, de par ses effets néfastes, s’analyse en un traitement dégradant au regard de l’article 3. La Cour juge à l’unanimité qu’il a eu violation de cette disposition de la Convention. Elle considère également que la perquisition au domicile des requérants, effectuée sans l’autorisation préalable du juge, avait une base légale en droit interne. Toutefois, la Cour estime qu’il n’est pas démontré que le juge a efficacement contrôlé a posteriori la légalité et la nécessité de la mesure contestée. Par conséquent, la législation nationale n’a pas offert aux requérants suffisamment de garanties contre l’arbitraire avent ou après cette mesure d’instruction. De ce fait, les requérants ont été privés de la protection contre l’arbitraire que leur conférait le principe de la prééminence du droit dans une société démocratique. Ainsi, l’ingérence dans le droit des intéressés au respect de leur domicile n’était pas « prévue par la loi » au sens de l’article 8§2 de la Convention. |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-158480 |