Document public
Titre : | Arrêt relatif à la condamnation de la France pour violation du droit à la vie d'un détenu qui s'était suicidé en prison : Isenc c. France |
Titre précédent : | |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 04/02/2016 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 58828/13 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Relation des usagers avec les services publics [Mots-clés] Établissement pénitentiaire [Mots-clés] Suicide [Mots-clés] Droit à la vie [Mots-clés] Administration pénitentiaire [Mots-clés] Droit des détenus [Géographie] France |
Résumé : |
Le requérant est le père d’un jeune homme âgé de 24 ans décédé par suicide en décembre 2008, douze jours après son incarcération.
La CEDH rappelle que l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme astreint l’État à s’abstenir de provoquer volontairement la mort mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction. Elle précise que cette obligation doit être interprétée de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif. La Cour observe que le jeune homme était un détenu arrivé depuis peu dans la maison d’arrêt, cette période étant reconnue comme une phase délicate. Il s’est suicidé douze jours après son incarcération et le lendemain de son placement dans une cellule collective. Le juge d’instruction avait signalé aux autorités pénitentiaires la fragilité du détenu et préconisé une surveillance particulière, soulignant qu’il s’agissait d’une première incarcération. La Cour note qu’un lieutenant a rempli, le lendemain de l’incarcération, la « grille d’aide au signalement des personnes détenues présentant un risque suicidaire ». Ce document indique des antécédents suicidaires ainsi que la mention « se déclare spontanément suicidaire ». Ces éléments ont été traduits dans la fiche de renseignement établie par le fonctionnaire comme une apparence de fragilité pour laquelle un signalement au SMPR (service médico-psychologique régional) a été décidé le lendemain. La Cour estime que la notice du juge d’instruction et la grille précitée permettaient au moins de repérer le jeune homme comme une personne suicidaire, et d’en déduire le risque qu’il mette fin à ses jours. Après l’obtention de ces informations, les autorités auraient dû savoir qu’il existait un risque réel et immédiat que l’intéressé attente à sa vie. La Cour note que différentes mesures ont été prises avant et au moment du placement de l’intéressé en cellule avec deux autres détenus et que les autorités ont signalé l’intéressé au SMPR. La Cour constate ensuite qu’au moment du placement en cellule collective, les autorités ont établi une mesure de surveillance spéciale consistant en une ronde toutes les heures. La Cour relève néanmoins que la circulaire de la direction de l’administration pénitentiaire de 2002 précise qu’on ne peut réduire la prise en charge d’une personne détenue en détresse aux seules mesures de surveillance. Elle en déduit que la mesure de surveillance renforcée prise par les autorités ne suffit pas pour conclure que l’État a respecté son obligation positive de protéger la vie de l’intéressé. La Cour note également que l’administration pénitentiaire a placé l’intéressé dans une cellule avec deux codétenus afin d’éviter son isolement et pour qu’ils puissent le soutenir, mais observe que ces derniers étaient absents lors du suicide. La Cour considère qu’un contrôle médical de l’intéressé lors de son admission constituait une mesure de précaution minimale. Le Gouvernement soutient que l’intéressé aurait bénéficié d’une consultation médicale, mais il n’a fourni aucune pièce permettant de vérifier l’assertion et n’a donc pas démontré que ce dernier avait été examiné par un médecin. En l’absence de toute preuve d’un rendez-vous avec le service médical de la prison, la Cour estime que les autorités ont manqué à leur obligation positive de protéger le droit à la vie du fils du requérant. Elle ne saurait à cet égard retenir le fait que le service médical appelé à intervenir auprès des détenus, le SMPR entre autres, n’est pas placé sous l’autorité de l’administration pénitentiaire. La Cour a déjà relevé que la collaboration des personnels de surveillance et médicaux relevait de la responsabilité des autorités internes. La Cour constate que, bien que prévu par le droit interne, le dispositif de collaboration entre les services pénitentiaires et médicaux dans la surveillance des détenus et la prévention des suicides n’a pas fonctionné. La Cour conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention. |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-160319 |