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Titre : | Arrêt relatif au fait que l'annulation de reconnaissance de paternité d’un enfant, justifiée par la vérité biologique, ne viole pas son droit au respect de la vie privée et familiale : Mandet c. France |
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est cité par : | |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 14/01/2016 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 30955/12 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Mots-clés] État civil [Mots-clés] Caractéristiques génétiques [Mots-clés] Accès aux origines [Mots-clés] Intérêt supérieur de l'enfant [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Situation de famille [Mots-clés] Filiation [Mots-clés] Paternité |
Résumé : |
Les requérants, un couple et leur enfant (âgé de 16 ans au moment de l’introduction de la requête en 2012), se plaignent de l’annulation de la reconnaissance de paternité de l’enfant, à la demande du père biologique qui était l’ancien compagnon de la mère. Les requérants résident à Dubaï. Ils allèguent en particulier que l’annulation de la reconnaissance de paternité effectuée par le mari de la mère de l’enfant, à l’égard de ce dernier, ainsi que de la légitimation subséquente, emporte violation du droit au respect de la vie privée et familiale.
L’enfant, né en août 1996, deux mois après le divorce du couple (la mère vivait alors avec un compagnon), a été déclaré sous le nom de sa mère. Un an plus tard, en septembre 1997, l'enfant a été reconnu par l’ex-époux de la mère alors que celle-ci continuait à vivre maritalement avec son compagnon jusqu’en 2001. En 2003, le couple se remarie, ce qui a pour conséquence la légitimation de l’enfant. En février 2005, alors que l’enfant est âgé de 9 ans, l’ancien compagnon de la mère a saisi le juge pour contester la reconnaissance de paternité de l’époux et afin de se voir reconnaître la paternité naturelle. Le juge a écarté la présomption légale de paternité de l’époux, l’enfant étant né plus de trois cents jours après la séparation du couple. Il a relevé qu’il n’était pas contesté qu’à l’époque de la conception de l’enfant, l’ancien compagnon entretenait des relations intimes avec la mère et que de nombreux témoignages établissaient qu’ils avaient vécus maritalement (même après la naissance, jusqu’en 2001) et que l’enfant était connu comme étant leur enfant commun. Le juge en a déduit que l’enfant n’avait pas eu de possession d’état continue d’enfant légitime du couple et que l’intérêt primordial de l’enfant était de connaître la vérité sur ses origines. En conséquence, le tribunal a déclaré recevable l’action de l’ancien compagnon et a ordonné avant dire droit une expertise génétique visant à rechercher si sa paternité était possible ou exclue. Or, seul l’ancien compagnon s’est présenté à l’expertise. Suite au rapport de carence déposé par l’expert, le tribunal a annulé, en mai 2008, la reconnaissance de paternité ainsi que la légitimation subséquente de l’enfant. Le jugement a précisé par ailleurs que l’enfant reprendra le nom de sa mère, a dit que l’ancien compagnon est le père biologique de l’enfant et que l’autorité parentale sera exercée exclusivement par la mère. Il a ordonné la transcription de la paternité sur l’acte de naissance. Le père biologique a obtenu le droit de visite et d’hébergement (deux fois 15 jours par an). Le tribunal a constaté en outre, que l’enfant, alors âgé de 11 ans, était informé de la procédure et savait que sa filiation était contestée. Le tribunal a considéré qu’en retardant par tous les moyens la procédure, en faisant obstruction à l’expertise génétique et en empêchant l’enfant, qui se trouvait à Dubaï, de rencontrer l’administratrice ad hoc, le couple avait imposé à l’enfant de vivre dans l’incertitude de ses origines biologiques au moins jusqu’à sa majorité et avait fait peser sur lui la responsabilité de les rechercher. Le juge a estimé que cette attitude était contraire à l’intérêt de l’enfant, même si elle s’expliquait par la volonté de préserver la famille, constituée après le remariage du couple. Il a considéré en outre qu’en refusant de se soumettre à l’expertise génétique, le couple reconnaissait le bienfondé de l’action engagée par l’ancien compagnon. La Cour d’appel a confirmé ce jugement en avril 2010 et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du couple en octobre 2011. Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants soutiennent notamment que l’annulation de la paternité et de la légitimation sont disproportionnées au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant qui exigeait, selon eux, le maintien de la filiation établie depuis plusieurs années et la préservation de la stabilité affective dans laquelle l’enfant se trouvait. La CEDH rappelle que la vie privée, au sens de l’article 8 de la Convention, peut intégrer des aspects de l’identité non seulement physique mais aussi sociale de l’individu, ce qui inclut la filiation. Elle estime que l’annulation de la paternité constitue une ingérence dans l’exercice par l’enfant non seulement de son droit au respect de sa vie familiale mais aussi de son droit au respect de sa vie privée. La Cour constate que les mesures dénoncées visaient la protection des droits du père biologique qui entendait faire reconnaître sa paternité. Elle considère donc que l’ingérence dénoncée avait pour but « la protection des droits et libertés d’autrui » (du père biologique). Quant à savoir si cette ingérence était nécessaire dans une société démocratique, la Cour indique qu’en absence de consensus entre les Etats membres, ces derniers jouissent d’une marge d’appréciation concernant la décision de savoir si un individu devait être autorisé à contester la paternité légalement établie à l’égard d’un enfant dont il pense être le père biologique. Elle ajoute que cette marge d’appréciation est importante lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, de mettre en balance les droits fondamentaux concurrents de deux individus. En revanche, il appartient à la CEDH de vérifier si un juste équilibre a été ménagée entre ces intérêts. La Cour estime que les juges internes ont dûment placé l’intérêt supérieur de l’enfant au cœur de leurs considérations. Ce faisant, sans pour autant condamner la volonté du couple de préserver la famille constituée après leur remariage, elles ont retenu que, même si l’enfant considérait l’époux de sa mère comme son père et avait noué des liens affectifs très forts avec lui, son intérêt était avant tout de connaître la vérité sur ses origines. Ces décisions ne reviennent pas à faire indûment prévaloir l’intérêt du père biologique sur celui de l’enfant mais à considérer que l’intérêt de l’enfant et du père biologique se rejoignent en partie. Ensuite, la CEDH relève que sur le plan de la proportionnalité, la procédure interne et les décisions relative à la filiation et au droit de visite, étaient de nature à jeter un trouble dans la vie privée et familiale de l’enfant, d’autant plus qu’elles sont intervenus pendant son enfance et son adolescence (entre 8 et 15 ans de l'enfant). Elle note toutefois qu’ayant confié l’exercice de l’autorité parentale à la mère, les décisions des juridictions internes n’ont pas fait obstacle à ce que l’enfant continue à vivre au sein de sa famille, comme il le souhaitait. De fait, il a évolué au sein de cette famille jusqu’à sa majorité. La Cour prend la juste mesure de l’impact de l’ingérence litigieuse sur la vie privée et familiale de l’enfant. Elle considère cependant qu’en jugeant que l’intérêt supérieur de l’enfant se trouvait moins dans le maintien de la filiation établie par la reconnaissance de paternité effectuée par le mari que dans l’établissement de sa filiation réelle – ce en quoi son intérêt rejoignait en partie celui du père biologique –, les juridictions internes n’ont pas excédé la marge d’appréciation dont elles disposaient. En conséquence, la CEDH considère qu'il n’y a pas eu violation du droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant. |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-159795 |