
Document public
Titre : | Arrêt relatif au non-renouvellement du contrat de travail en raison du refus d'enlever le voile : Ebrahimian c. France |
Titre précédent : | |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 26/11/2015 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 64846/11 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Religion - Croyances [Mots-clés] Contrat à durée déterminée (CDD) [Mots-clés] Fonction publique hospitalière [Mots-clés] Emploi public [Mots-clés] Libertés publiques et individuelles [Mots-clés] Règlementation des services publics [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Signe religieux [Mots-clés] Laïcité [Mots-clés] Renouvellement de contrat |
Résumé : |
La requérante a été recrutée en octobre 1999 sous contrat à durée déterminée en qualité d’agent de la fonction publique hospitalière comme assistante sociale au service de psychiatrie d’un centre hospitalier.
En décembre 2000, elle est informée par le directeur des ressources humaines que son contrat ne sera pas renouvelé du fait de son refus d’enlever le voile islamique qu’elle portait et de plaintes formulées par certains patients. Le directeur s’appuyait sur l’avis du Conseil d’Etat du 3 mai 2000 selon lequel le principe de laïcité de l’Etat et de neutralité des services publics s’applique d’une part à l’ensemble de ceux-ci et, d’autre part, fait obstacle à ce que les agents disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses. La requérante a contesté en vain la décision de refus de renouvellement de son contrat devant le juge administratif. Ce dernier a rejeté sa requête sur le fondement du le principe de laïcité de l’Etat et de la neutralité des services publics qui fait obstacle à ce que ses agents disposent, dans l’exercice de leurs fonctions, du droit de manifester leurs croyances religieuses notamment par une extériorisation vestimentaire. Il a ajouté que ce principe vise à protéger les usagers du service de tout risque d’influence ou d’atteinte à leur propre liberté de conscience. Par ailleurs, la Cour administrative d’appel a considéré que la décision litigieuse présentait un caractère disciplinaire. Invoquant l’article 9 (droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion), la requérante se plaignait que le non-renouvellement de son contrat d’assistante sociale est contraire à son droit à la liberté de manifester sa religion. La CEDH constate que le port du voile a été considéré par les autorités comme une manifestation ostentatoire de la religion incompatible avec l’obligation de neutralité des agents publics dans l’exercice de leurs fonctions. La Cour considère que le non-renouvellement du contrat de travail de l’intéressée doit s’analyser comme une ingérence dans son droit à la liberté de manifester sa religion. La Cour note que cette ingérence est prévue par « la loi ». En effet, à compter de la publication de l’avis du Conseil d’Etat en mai 2000, soit plus de six mois avant la décision litigieuse, les modalités de l’exercice de neutralité religieuse des agents publics dans l’exercice de leur fonction étaient prévisibles et accessibles. La Cour considère que l’ingérence litigieuse poursuivait un but légitime, à savoir la protection des droits et libertés d’autrui. En ce qui concerne la question de savoir si l’ingérence litigieuse est nécessaire dans une société démocratique à la protection des droits et libertés d’autrui, la Cour estime que l’obligation de neutralité des agents publics peut être considérée comme justifiée dans son principe : l’État qui emploie la requérante au sein d’un hôpital public peut juger nécessaire qu’elle ne fasse pas état de ses croyances religieuses dans l’exercice de ses fonctions pour garantir l’égalité de traitement des malades. Quant à la proportionnalité de l’ingérence au but poursuivi, la Cour rappelle que si la liberté de conscience des agents publics est totale, il leur est cependant interdit de manifester leurs croyances religieuses dans l’exercice de leurs fonctions. La CEDH souligne qu’elle a déjà approuvé une mise en œuvre stricte des principes de laïcité et de neutralité lorsqu’il s’agit d’un principe fondateur de l’Etat, ce qui est le cas de la France. Le principe de laïcité-neutralité constitue l’expression d’une règle d’organisation des relations de l’État avec les cultes, qui implique son impartialité à l’égard de toutes les croyances religieuses dans le respect du pluralisme et de la diversité. La Cour estime que le fait que les juridictions nationales ont accordé plus de poids au principe de laïcité-neutralité et à l’intérêt de l’Etat qu’à l’intérêt de la requérante de ne pas limiter l’expression de ses croyances religieuses ne pose pas de problème au regard de la Convention. Selon le modèle français, qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier en tant que tel, la neutralité de l’État s’impose aux agents qui le représentent. Il incombe toutefois au juge administratif de veiller à ce que l’administration ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté de conscience des agents publics lorsque la neutralité de l’État est invoquée. En l’espèce, la requérante s’est vu notifier le déclenchement de la procédure disciplinaire en raison de son refus de se conformer à l’obligation de neutralité vestimentaire dans l’exercice de ses fonctions. Elle a alors bénéficié des garanties de la procédure disciplinaire ainsi que des voies de recours devant les juridictions administratives. Par ailleurs, elle a renoncé à se présenter au concours d'assistante sociale organisé par l’établissement qui l’avait employée, alors qu'elle était inscrite en 2001 sur la liste des candidats que cet établissement a dressée en parfaite connaissance de cause. Dans ces conditions, la CEDH estime que les autorités nationales n'ont pas outrepassé leur marge d'appréciation en constatant l'absence de conciliation possible entre les convictions religieuses de l'assistante sociale et l'obligation de ne pas les manifester, puis en décidant de faire primer l'exigence de neutralité et d'impartialité de l'État. La Cour juge par six voix contre une qu'il n'y a pas eu violation de l'article 9 de la Convention. |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-158878 |