Document public
Titre : | Arrêt relatif au caractère inhumain et dégradant des modalités d’exécution de la détention d’un détenu vulnérable : Bamouhammad c. Belgique |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 17/11/2015 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 47687/13 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] Belgique [Mots-clés] Établissement pénitentiaire [Mots-clés] Isolement [Mots-clés] Accès aux soins [Mots-clés] Traitement inhumain et dégradant [Mots-clés] Santé mentale [Mots-clés] Recours |
Résumé : |
L’affaire concerne les conditions de détention d’un ancien détenu souffrant du syndrome de Ganser (ou « psychose en prison ») et la détérioration de son état de santé mentale en raison de son régime carcéral particulier et de ses nombreux transferts.
En effet, en six ans, l’intéressé a fait l’objet d’une quarantaine de transfèrements successifs d’une prison à l’autre. En raison de problèmes de discipline et de violence, il était soumis à un régime cellulaire strict lequel incluait une mise à l’isolement cellulaire, le port systématique de menottes à chaque sortie de cellule et des fouilles au corps. L’intéressé s’était plaint en vain de ses conditions de détention devant les juridictions nationales. Invoquant l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme, le requérant allègue avoir été soumis en prison à des traitements inhumains et dégradants qui ont eu pour conséquence la détérioration de son état de santé mentale. Il se plaint également de ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif conforme à l’article 13 (droit à un recours effectif). La CEDH juge à l’unanimité qu’il y a eu violation de la Convention. La Cour n’est pas convaincu qu’un juste équilibre ait été ménagé par les autorités pénitentiaires entre les impératifs de sécurité et l’exigence d’assurer au requérant des conditions humaines de détention. La grande majorité des 43 transferts en 6 ans ne semble pas avoir été justifiée par des impératifs de sécurité au sein des différentes prisons ou pour éviter un risque d’évasion. De plus, la plupart des rapports psychologiques concordaient pour dire que les changements répétés de prison avaient des conséquences néfastes sur le bien-être psychique du requérant. La Cour estime qu’alors que l’intéressé faisait déjà l’objet de mesures de transferts répétés, sa mise à l’isolement pendant 7 ans et la prolongation systématique des mesures de sécurité d’exception pour une période si longue combinée avec la dégradation de son état de santé mentale, entrent en ligne de compte pour apprécier si le seuil de gravité requis par l’article 3 est atteint. Elle note que les transferts incessants ont empêché le suivi psychologique du requérant, alors que leur nécessité était soulignée par toutes les expertises qui faisaient état de la dégradation de son état de santé psychique déjà fragile, au fur et à mesure de sa détention. La Cour en déduit que les autorités pénitentiaires n’ont pas suffisamment pris la mesure de la vulnérabilité du requérant ni envisagé sa situation dans une perspective humaine. Par ailleurs, les autorités pénitentiaires ont persisté dans leur refus d’aménager la peine du requérant malgré l’évolution négative de son état de santé, alors que les professionnels considéraient depuis 2011 que son incarcération depuis près de 30 ans ne remplissait plus ses objectifs légitimes. La CEDH considère donc que les modalités d’exécution de la détention du requérant ont pu provoquer chez lui une détresse qui a excédé le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. Le seuil de gravité pour qu’un traitement soit considéré, au sens de l’article 3, comme dégradant, a ainsi été dépassé. Elle estime également qu’en raison des transfèrements répétés, circonstances volontairement créées par les autorités, la protection offerte par le juge en référé ne s’est pas avérée efficace. Le requérant n’a pas disposé d’un recours effectif pour faire valoir ses griefs tirés de l’article 3. Il y a donc eu violation de l’article 13 combiné avec cette disposition. Enfin, la Cour recommande, conformément à l’article 46 (force obligatoire et exécution des arrêts) que la Belgique mette en place, en droit belge, un recours adapté à la situation des détenus qui se trouvent confrontés à des transferts et à des mesures d’exception du type de celles qui ont été imposées au requérant. |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-158750 |