Document public
Titre : | Décision MLD-2015-276 du 21 décembre 2015 relative à une discrimination dans les conditions de travail en raison de la nationalité |
Auteurs : | Défenseur des droits, Auteur ; Emploi privé (2011-2016), Auteur |
Type de document : | Décisions |
Année de publication : | 21/12/2015 |
Numéro de décision ou d'affaire : | MLD-2015-276 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Documents internes] Transmission au Parquet [Documents internes] Position suivie d’effet [Documents internes] Position partiellement suivie d’effet [Mots-clés] Emploi [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Emploi privé [Mots-clés] Traite des êtres humains [Mots-clés] Origine [Mots-clés] Race, Ethnie [Mots-clés] Rémunération |
Résumé : |
Le Défenseur des droits a été saisi de la situation de 18 travailleurs sans-papiers exerçant dans un salon de coiffure en qualité de coiffeurs ou de manucures.
Les services de l’inspection du Travail, alertés de la situation, ont diligenté une enquête et transmis au procureur de la République un procès-verbal article 40 en relevant 14 infractions à la législation du travail et en précisant que le délit de traite des êtres humains paraissait constitué en l’espèce. Il ressort de ce procès-verbal que ces travailleurs étaient exposés à des conditions de travail contraires à la dignité notamment en matière de durée du travail (12 à 14h par jour), de non-respect des règles concernant les congés payés, le salaire minimum, les règles d’hygiène et de sécurité. Le Défenseur des droits, au vu des différents éléments portés à sa connaissance, considère que le traitement par leur employeur de ces travailleurs sans-papiers en situation de particulière vulnérabilité, caractérise une discrimination en raison de la nationalité. Le Défenseur des droits décide de transmettre son analyse de la présente procédure au procureur de la République en charge du dossier. |
Suivi de la décision : |
En 2015, le Défenseur des droits avait décidé de limiter ses observations au Procureur et à une analyse de la situation au regard de la discrimination qu’elle pouvait constituer, tout en réfléchissant en interne à l’application du délit de traite aux faits de l’espèce. Le procureur de la République avait répondu au Défenseur des droits qu’il n’entendait pas poursuivre sur la discrimination, estimant que les infractions retenues étaient suffisantes pour couvrir les agissements. Par la suite, le syndicat a informé les services du Défenseur des droits qu’un jugement avait été rendu par le tribunal correctionnel dans ce dossier, le 10 novembre 2016, condamnant les deux auteurs à de la prison ferme (10 mois et 2 ans dont un avec sursis), des amendes et des dommages et intérêts pour travail dissimulé, conditions de travail indignes de personnes particulièrement vulnérables et rétribution inexistante ou insuffisante. Le syndicat a ensuite indiqué aux services du Défenseur des droits, que le procureur de la République n’ayant pas poursuivi sur le délit de traite des êtres humains, elle avait déposé une citation directe sur ce seul délit fin novembre 2016 et a demandé au Défenseur des droits de se positionner sur l’application du délit de traite à la situation de ces travailleurs. Les deux pôles instructeurs travaillant en binôme sur le sujet (Pôles EBSP/DFE) avaient proposé de rendre un avis sur la question de la traite des êtres humains dans ce dossier reprenant les réflexions déjà bien avancées à l’époque, le jugement du tribunal correctionnel, le livre blanc des étrangers et le rapport de la CNCDH. Le 13 avril 2017, un courrier rédigé sous forme d’avis a été adressé par le Défenseur des droits au syndicat détaillant son analyse visant à considérer que les éléments de la traite des êtres humains étaient constitués dans ce dossier. Ce courrier a alors été communiqué dans le cadre des débats judiciaires par le syndicat. L’audience devant le tribunal correctionnel de B a eu lieu le 21 décembre 2017 et y étaient présents le syndicat, l’inspectrice du travail, Monsieur T du Bureau international du travail et une adjointe à la Mairie de B, Madame H. Le 8 février 2018, le tribunal correctionnel de B a déclaré l’un des prévenus coupable des faits de traite des êtres humains et le condamne à 2 ans d’emprisonnement assorti d’un sursis d’un an et d’une interdiction définitive de gérer. Dans sa motivation, le jugement a rappelé les textes applicables du code pénal en matière de traite des êtres humains et les 3 éléments constitutifs de l’infraction : l’action ayant pour finalité l’exploitation, à savoir le recrutement ; le moyen utilisé, à savoir la promesse de rémunération ; la finalité de l’exploitation, en l’occurrence le travail dans des conditions indignes. Le tribunal correctionnel a considéré que les éléments constitutifs de la traite des êtres humains étaient réunis en l’espèce puisque le mis en cause avait recruté ces personnes en leur promettant une rémunération dans le but de les exploiter et de les faire travailler dans des conditions contraires à leur dignité, délit prévu par l’article 225-14 du code pénal. Le jugement indique que « cette exploitation a duré car les salariés ne percevaient pas, au bout du mois, la rémunération attendue et corrélative au nombre de têtes coiffées ou de soins de manucure dispensés. Ils revenaient donc travailler dans l’espoir que leur dû leur serait versé sous peu par le mis en cause. Ils étaient retenus par la dette que l’entreprise avait à leur égard et demeuraient contraints de continuer à travailler. (…) Toute démission leur était impossible sauf à perdre les salaires que le mis en cause leur devait, qui conservait ainsi son emprise, sur les victimes, et créait un lien de dépendance durable ». Le tribunal conclut sur la traite des êtres humains en évoquant la connaissance par l’auteur des faits de la logique d’ensemble dans laquelle ses actes s’inscrivaient notamment la conscience d’embaucher successivement ces personnes dans la plus totale illégalité et de les faire ensuite travailler dans des « conditions durablement lucratives pour lui et durablement inadmissibles et intolérables pour elles ». Il s’agit là d’une victoire importante concernant la reconnaissance de la traite des êtres humains par les tribunaux correctionnels, les procureurs étant plus que réticents à poursuivre sur ce fondement, préférant condamner pour des faits de travail dissimulé, de soumission de personnes à des conditions de travail indignes ou d’emploi d’étrangers sans titre. Ce jugement marque également une étape essentielle en termes de reconnaissance de la traite des êtres humains dans le domaine de l’emploi, les condamnations semblant se limiter jusque-là à des faits de prostitution ou concernant des employés de maison. Enfin, ce dossier revêt une portée politique forte de par la mobilisation de multiples acteurs (Mairie de B, syndicats, BIT…) et du fait que cette situation concerne une exploitation organisée d’êtres humains perdurant depuis des années en plein cœur de B. |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Emploi |
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