Document public
Titre : | Décision MLD-2015-247 du 12 octobre 2015 relative à des faits de harcèlement sexuel et à des mesures de représailles en raison de la dénonciation de ces faits |
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Auteurs : | Défenseur des droits, Auteur ; Emploi privé (2011-2016), Auteur |
Type de document : | Décisions |
Année de publication : | 12/10/2015 |
Numéro de décision ou d'affaire : | MLD-2015-247 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Documents internes] Observations devant une juridiction [Documents internes] Rapport annuel 2015 [Documents internes] Observations devant une juridiction avec décision rendue [Documents internes] Position suivie d’effet [Mots-clés] Mesures de rétorsion [Mots-clés] Emploi [Mots-clés] Sexe [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Harcèlement sexuel [Mots-clés] Emploi privé [Mots-clés] Carrière |
Résumé : |
L’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) a saisi le Défenseur des droits de réclamations concernant 4 femmes et un homme, tous agents d’entretien d’une société de nettoyage.
Les réclamants font état depuis plusieurs mois d’agissements répétés pouvant être constitutifs de harcèlement sexuel de la part de collègues de travail, se traduisant par des gestes et propos déplacés à connotation sexuelle, dans un climat généralisé de précarité, de dépendance économique et de conflit syndical. Les réclamants décident alors de dénoncer ces faits à la direction de la société, en octobre 2012 et estiment être victimes, à compter de cette date, de sanctions et de mesures de rétorsion. Le Défenseur des droits a diligenté une enquête approfondie en procédant à une vérification sur place, à de multiples auditions, et à une rencontre avec l’inspection du travail. Il semble exister au sein de la société de nettoyage mise en cause un climat de travail dégradé constitué par des propos à connotation sexuelle et des gestes déplacés dans un contexte de hiérarchisation des fonctions, de division sexuée du travail au profit des hommes pouvant être constitutifs de harcèlement sexuel, au sens de l’article L.1153-1 du code du travail. Il ressort également que les réclamants se sont vus notifier plusieurs sanctions à compter de la dénonciation des faits , alors qu’ils avaient tous un dossier disciplinaire quasiment vierge. Les sanctions ainsi prononcées - si certaines peuvent apparaitre justifiées - interviennent dans un contexte qui conduit à s’interroger sur leur objectivité. Ces sanctions semblent disproportionnées au regard des faits reprochés et démontrent une volonté de la société de faire partir les réclamants, à la dénonciation du harcèlement sexuel. Le Défenseur des droits considère donc qu’il existe au sein de la société un contexte de travail pouvant s’apparenter à du harcèlement sexuel et que les sanctions multiples et disproportionnées notifiées aux réclamants peuvent s’apparenter à des mesures de rétorsion. Dans le cadre de l’enquête, la société ne démontre pas, conformément à l’aménagement de la charge de la preuve, l’absence de tout harcèlement sexuel, et qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires afin d’éviter la survenance de tels agissements. Le Défenseur des droits décide de présenter des observations écrites devant le conseil de prud’hommes. |
Suivi de la décision : |
L’affaire a été plaidée une première fois en bureau de jugement devant la section commerce du conseil de prud’hommes (CPH), le 30 novembre 2015. Le 10 février 2016, le CPH s’est déclaré en partage de voix et a renvoyé le dossier devant la section départage, à une audience fixée au 25 septembre 2017. Par un jugement du 10 novembre 2017, la section départage du CPH de a reconnu le harcèlement sexuel et l’ambiance délétère au sein de la société, propice à la survenance de tels agissements (conflits communautaires et syndicaux, dépendance économique, sexisme, précarité, vulnérabilité). Le CPH a condamné la société à verser des dommages et intérêts à l’ensemble des salarié.e.s pour harcèlement sexuel et moral, discrimination et a annulé les sanctions prises à leur encontre. La société a ainsi été condamnée à verser à 3 réclamantes, les sommes de 20.000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel et moral et 10.000 € pour discrimination, soit une réparation totale de 90.000 €. Concernant la 4ème réclamante, le CPH a considéré que le licenciement intervenu à son encontre était nul et lui a octroyé à ce titre, 60.000 € de dommages et intérêts, 20.000 € pour harcèlement sexuel et moral et 10.000 € pour discrimination, soit une somme totale de 90.000 €. Concernant le réclamant, le CPH a reconnu la nullité des deux licenciements (2013 et 2016) qu’il a subis et lui a octroyé à ce titre, 55.000 € de dommages et intérêts, 20.000 € pour harcèlement moral et 10.000 € pour discrimination, soit la somme totale de 85.000 €. La société a ainsi été condamnée à indemniser l’ensemble des réclamant.e.s à hauteur de 265.000 €. Ce jugement apporte un éclairage sur l’évaluation du préjudice en termes de dommages et intérêts face à des situations de harcèlement sexuel, moral et discrimination (utile pour les médiations, transactions civiles effectuées par les services du Défenseur des droits). Les points importants à retenir de cette décision de justice sont : -La condamnation de la société, au titre de la discrimination, se fonde sur l’article L.1153-3 du code du travail (loi de 2012) qui prévoit que « Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné de faits de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés », pour considérer qu’elles ont été victimes de représailles pour avoir dénoncé le harcèlement sexuel (l’utilisation de cet article est assez nouveau sur le terrain de la discrimination) ; -Le jugement cite précisément l’enquête du Défenseur des droits et notamment les termes des PV d’auditions « il ressort des éléments du dossier, et notamment des attestations et des auditions faites par le Défenseur des droits, qu’un certain nombre de salariés ont confirmé, de façon très circonstanciée, avoir été témoins de harcèlement sexuel et agression sexuelle au sein de l’entreprise sur le site de Gare du Nord » (…) « cette absence de mesure réelle et efficace par l’employeur est d’autant plus préoccupante qu’il ressort des auditions des responsables par le Défenseur des droits que ces derniers connaissaient parfaitement l’environnement de travail sexiste établi au sein de l’entreprise et le comportement déplacé de Monsieur X. » ; -Le jugement fait ensuite référence à la difficulté pour les femmes de dénoncer « il est extrêmement difficile pour les victimes de harcèlement sexuel, à fortiori dans un environnement de travail sexiste, où les victimes sont sous le lien de subordination et toujours en contact avec leur agresseur, de révéler des faits de cette nature » ; -La décision reprend enfin l’analyse du Défenseur des droits concernant le terreau fertile ayant facilité la survenance de tels agissements « ces éléments pris dans leur ensemble, et qui s’inscrivent au surplus, comme l’a relevé à juste titre le Défenseur des droits, dans un contexte de hiérarchisation des fonctions, de division sexuée du travail, au profit des hommes, sur fond de précarité et de dépendance économique, caractérisent des faits de harcèlement sexuel et moral ». Ce dossier revêt une importance particulière pour le Défenseur des droits, car il démontre ce qu’il est possible de réaliser en termes d’enquête (utilisation de multiples pouvoirs – auditions, vérification sur place, observations en justice, recommandations) et d’approche contextuelle d’un dossier. L’analyse réalisée du dossier s’est fondée sur une approche à la fois juridique et sociologique. Les agissements de harcèlement sexuel survenus ont été appréhendés, à la lumière de la situation de ces femmes plongées dans une profonde vulnérabilité économique, mais également au regard du secteur d’activité des métiers du nettoyage. Il était en effet intéressant de constater, au regard des études sur le sujet, que ce métier, étant considéré comme un métier invisible en contact permanent avec la saleté, pouvait induire des comportements de domination sur ces femmes, agents d’entretien, qui étaient-elles mêmes perçues comme invisibles. De plus, dans cette entreprise, les femmes étaient les seules à nettoyer les toilettes et très peu étaient en position d’encadrement, ce qui démontraient une hiérarchie sexuée des fonctions et des postes qui facilitait également ces agissements. |
Documents numériques (1)
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