Document public
Titre : | Arrêt relatif au refus d'accorder à une personne transsexuelle la possibilité d'accéder à une opération chirurgicale de changement de sexe : Y.Y. c. Turquie |
Voir aussi : | |
est cité par : |
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Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 10/03/2015 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 14793/08 |
Format : | 46 p. |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Identité de genre [Mots-clés] Transidentité [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Géographie] Turquie |
Résumé : |
Le requérant est une personne transsexuelle. Né et inscrit au registre d’état civil turc comme étant de sexe féminin, il a sollicité dès 2005 l’autorisation de recourir à l’opération de changement de sexe. Le juge turc a refusé d’autoriser cette opération au motif que l’intéressé n’était pas définitivement dans l’incapacité de procréer. En effet, la législation turque reconnaît aux personnes transsexuelles satisfaisant aux exigences de la loi non seulement le droit de changer de sexe mais aussi celui d’obtenir la reconnaissance juridique de leur nouveau sexe par la modification de leur état civil. Cependant, elle conditionne cette possibilité à certaines exigences dont l’incapacité définitive de procréer.
Ce n’est qu’en 2013, lors d’une nouvelle procédure que l’intéressé a obtenu satisfaction. Le juge turc avait estimé que le requérant était transsexuel, que la préservation de sa santé mentale nécessitait son changement de sexe, qu’il ressortait de l’audition des témoins que l’intéressé à tout point de vue vivait comme un homme et souffrait de sa situation. Invoquant en particulier l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le requérant se plaint d’une atteinte au droit au respect de sa vie privée. Alléguant que la contradiction entre sa perception de lui-même comme homme et sa constitution physiologique a été établie par des rapports médicaux, il dénonce le refus initial des autorités internes de mettre fin à cette contradiction en se fondant sur sa capacité à procréer. La CEDH note qu’il s’agit d’une première affaire qui concerne un transsexuel non opéré, contrairement aux affaires dont elle était saisie auparavant par des personnes transsexuelles opérées ou qui avaient subi certaines interventions chirurgicales en vue d’une conversion sexuelle. Elle rappelle que si l’article 8 de la Convention ne saurait être interprété comme garantissant un droit inconditionnel à une chirurgie de conversion sexuelle, il est largement reconnu au niveau national que le transsexualisme est un état médical justifiant un traitement destiné à aider les personnes concernées. La Cour estime que le refus initialement opposé au requérant a eu indéniablement des répercussions sur son droit à l’identité sexuelle et à l’épanouissement personnel, aspect fondamental de son droit au respect de sa vie privée. Ce refus a ainsi constitué une ingérence dans le droit de l’intéressé au respect de sa vie privée. La CEDH estime que cette ingérence avait une base légale en droit interne et admet que ce type d’interventions médicales puisse être soumis à une régulation et à un contrôle de l’Etat pour des motifs relevant de la protection de la santé et des intérêts des individus concernés eu égard aux risques que représentent ces interventions pour l’intégrité physique et morale de la personne. Enfin, elle rappelle qu’une ingérence est considérée comme « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre un but légitime si elle répond à un « besoin social impérieux » et si elle est proportionnée au but légitime poursuivi. La Cour indique qu’elle tient compte de l’évolution du droit international et européen, de même que du droit et de la pratique en vigueur dans différents États membres du Conseil de l’Europe, afin d’apprécier les circonstances de l’espèce « à la lumière des conditions de vies actuelles ». En l’espèce, les autorités ont refusé d’autoriser l’opération de changement de sexe au motif que l’intéressé n’était pas dans l’incapacité de procréer. Or, l’intéressé n’aurait pas pu satisfaire à cette exigence d’infertilité définitive sauf à se soumettre à une opération de stérilisation. La Cour ne se prononce pas sur l’accessibilité des traitements médicaux pour satisfaire à cette exigence puisqu’elle considère que le respect dû à l’intégrité physique de l’intéressé s’opposerait à ce qu’il doive se soumettre à ce type de traitements visant la stérilisation définitive. La Cour énonce qu’à supposer même que le rejet de la demande initiale du requérant tendant à accéder à la chirurgie de changement de sexe reposait sur un motif pertinent, ce rejet ne saurait être considéré comme fondé sur un motif suffisant. L’ingérence qui en résultât dans le droit du requérant au respect de sa vie privée ne saurait donc passer pour avoir été « nécessaire » dans une société démocratique. Selon la Cour, ce constat est conforté par le changement d’attitude des juridictions turques qui ont accordé au requérant en mai 2013 l’autorisation de recourir à la chirurgie de sexe en faisant abstraction des conclusions médicales selon lesquelles l’intéressé n’était pas dans l’incapacité définitive de procréer. En conséquence, la Cour juge à l’unanimité qu’en déniant au requérant, pendant de nombreuses années, la possibilité d’accéder à une telle opération, l’État turc a méconnu le droit de l’intéressé au respect de sa vie privée en violation de l’article 8 de la Convention. |
Documents numériques (1)
JP_CEDH_20150310_14793-08_transsexualisme_vie_privee_changement_sexe.pdf Adobe Acrobat PDF |