Document public
Titre : | Arrêt relatif à l’insuffisance des soins dispensés à un détenu lourdement handicapé et à l’inadaptation des locaux pénitentiaires à son handicap : Helhal c. France |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 19/02/2015 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 10401/12 |
Format : | 27 p. |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Mots-clés] Accès aux soins [Mots-clés] Établissement pénitentiaire [Mots-clés] Relation des usagers avec les services publics [Mots-clés] Handicap moteur [Mots-clés] Handicap [Mots-clés] Administration pénitentiaire [Mots-clés] Acte médical [Mots-clés] Aménagement de peine [Mots-clés] Droit des détenus |
Résumé : |
L’affaire concerne la compatibilité de l’état de santé d’un détenu handicapé avec son maintien en détention ainsi que les modalités de sa prise en charge en prison. L’intéressé qui purge une peine de trente ans de réclusion criminelle est devenu handicapé en raison de la fracture de sa colonne vertébrale lors d’une chute alors qu’il tentait de s’évader de prison. Il a été soigné et transféré dans divers établissements.
Entre mai 2009 et septembre 2014, il a été détenu au centre de détention d’Uzerche. En 2010, il avait demandé la suspension de peine pour raison médicale arguant que les locaux de ce centre de détention, en particulier sanitaires, n’étaient pas adaptés à son handicap qui l’obligeait à se déplacer en fauteuil roulant, que les soins de kinésithérapie qui lui étaient prodigués étaient insuffisants et qu’il devait se faire assister d’un détenu mis à sa disposition, ce qui le plaçait dans une situation humiliante vis-à-vis des autres détenus. Le juge de l’application des peines a rejeté sa demande en prenant en considération les avis concordants des deux médecins experts. Le juge a estimé que l’état de santé du requérant était durablement compatible avec son incarcération sous réserve qu’il puisse bénéficier notamment des soins de kinésithérapie. Le juge a toutefois noté que le centre de détention d’Uzerche n’était pas adapté à son handicap et qu’il existait des établissements équipés pour accueillir les personnes handicapées. L’intéressé a contesté en vain ce jugement devant les juridictions nationales. Invoquant l’article 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants), le requérant se plaint de subir un traitement contraire à cet article du fait de l’inaccessibilité des soins en détention. La CEDH indique qu’il ne s’agit pas apprécier la compatibilité de l’état de santé du requérant avec son maintien en détention mais d’examiner la qualité des soins qui lui ont été dispensés. La Cour examine donc si les autorités nationales ont fait ce qu’on pouvait raisonnablement exiger d’elles pour prodiguer à l’intéressé la rééducation dont il avait besoin et lui offrir une chance de voir son état s’améliorer. La Cour note en particulier qu’aucun kinésithérapeute n’est intervenu au sein du centre de détention d’Uzerche pendant plus de trois ans et que si la responsabilité d’assurer la présence d’un kinésithérapeute au sein de cette prison relève d’une administration différente de l’administration pénitentiaire, cela ne peut selon la Cour justifier un tel délai d’inertie et n’exonère en tout état de cause pas l’État de ses obligations à l’égard du requérant. Par ailleurs, elle observe que les autorités n’ont pris aucune mesure pendant ce laps de temps pour rechercher une solution afin que le requérant puisse bénéficier des séances de kinésithérapie adaptées à son état conformément aux recommandations des médecins. La Cour estime que le seul comportement du requérant, qui semble avoir été réticent à un éventuel transfert, en raison notamment de l’éloignement familial, ne saurait justifier l’inertie des autorités pénitentiaires et sanitaires qui n’ont pas su coopérer pour lui assurer les soins dont l’exigence avait été formulée par les médecins qui l’avaient examinés. Elle examine également les griefs relatifs aux fouilles auxquelles l’intéressé a été soumis lors des transferts à l’hôpital. Elle estime que ces mesures ponctuelles et qui ne visaient pas toujours le seul requérant n’apparaissent pas, malgré leur caractère éprouvant, atteindre le seul de la gravité nécessaire pour que l’article 3 entre en jeu. Enfin, la CEDH rappelle que l’assistance d’un codétenu, même volontaire, ne signifie pas que les besoins spéciaux du requérant sont satisfaits et que l’Etat s’est acquitté des obligations qui lui incombent au titre de l’article 3 de la Convention. Elle rappelle qu’elle ne peut pas approuver une situation dans laquelle le personnel d’une prison se dérobe à son obligation de sécurité et de soins vis-à-vis des détenus les plus vulnérables en faisant peser sur leurs compagnons de cellule la responsabilité de leur fournir une assistance quotidienne ou, le cas échéant, des soins d’urgence. Selon la Cour, cette situation engendre de l’angoisse et les place dans une position d’infériorité vis-à-vis des autres détenus. Elle conclut que le maintien en détention du requérant n’est pas incompatible en soi avec l’article 3 de la Convention mais que les autorités nationales ne lui ont pas assuré une prise en charge propre à lui épargner des traitements contraires à cette disposition. Compte tenu de son grave handicap, et du fait qu’il souffre d’incontinence, la période de détention qu’il a vécu sans pouvoir bénéficier d’aucun traitement de rééducation, et dans un établissement où il ne peut prendre des douches que grâce à l’aide d’un codétenu, sont des circonstances qui l’ont soumis à une épreuve d’une intensité qui a dépassé le niveau inévitable de souffrances inhérentes à une privation de liberté. La Cour juge à l’unanimité que ces circonstances constituent un traitement dégradant prohibé par l’article 3 de la Convention et emportent violation de cette disposition. Elle précise que l’absence d’éléments laissant penser que les autorités aient agi dans le but d’humilier ou de rabaisser le requérant ne change en rien ce constat. |
ECLI : | CE:ECHR:2015:0219JUD001040112 |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-152257 |