Document public
Titre : | Arrêt relatif au placement en rétention administrative d'un enfant en bas âge accompagnant ses parents dans le cadre d'une procédure d'éloignement du territoire français : R.K. c. France |
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Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 12/07/2016 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 68264/14 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Mesure d'éloignement [Mots-clés] Mineur étranger [Mots-clés] Rétention administrative [Mots-clés] Intérêt supérieur de l'enfant [Mots-clés] Situation de famille [Mots-clés] Recours [Mots-clés] Assignation à résidence [Mots-clés] Enfant [Géographie] France |
Résumé : |
Les requérants, ressortissants russes d’origine tchéchène, ont dû quitter leur pays en raison des persécutions subies. Leur demande d’asile a été rejetée. Assignés à résidence dans un premier temps en attendant l’exécution de l’arrêté portant obligation de quitter le territoire, ils ont été placés, avec leur enfant âgé de 15 mois, en centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu pendant neuf jours. En effet, le préfet a considéré le refus des intéressés d’embarquer à bord d’un vol vers la Russie comme une volonté délibérée de se soustraite à l’exécution d’une mesure d’éloignement. Par la suite, le préfet a abrogé l’arrêté plaçant les intéressés en rétention administrative et a assigné la famille à résidence dans un hôtel pour une durée de 6 mois après que la CEDH a demandé à la France de ne pas expulser les requérants pour la durée de la procédure.
Invoquant l’article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, les requérants allèguent qu’un renvoi vers leur pays d’origine les exposerait à des risques de traitements contraires à cette disposition. Sur le fondement de cette même disposition et de l’article 8 de la Convention, ils dénoncent le placement en rétention en famille qu’ils ont subis entre le 15 et 24 octobre 2014. Enfin, ils soutiennent que la rétention de leur enfant était contraire aux articles 5 § 1 f) et 5 § 4 de la Convention. Le Défenseur des droits a décidé de présenter ses observations devant la CEDH en qualité de tiers-intervenant. La CEDH note que le Défenseur des droits est favorable à une condamnation de principe de la rétention administrative des enfants migrants. Selon lui, cette solution s’impose au regard des exigences posées par les normes relatives aux droits de l’enfant, lesquelles demandent de garantir à l’enfant une protection renforcée. Par ailleurs, pour éviter la rétention administrative, le Défenseur préconise d’utiliser les mesures alternatives ou, à tout le moins, de faire de la rétention une mesure exceptionnelle, prise en dernier ressort, en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et en respectant ses droits, pour la durée la plus brève possible. Tout d’abord, la CEDH estime qu’il n’existe pas de motifs sérieux et actuels de croire que les requérants seraient exposés à des risques réels de traitements contraires à l’article 3 en cas de renvoi vers la Russie et qu’il n’y aurait donc pas de violation de cette disposition en cas de mise à exécution de la mesure de renvoi. Quant à la rétention de l’enfant, la Cour rappelle que la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal. Les mineurs, qu’ils soient ou non accompagnés, comptent parmi les populations vulnérables nécessitant l’attention particulière et ils ont des besoins spécifiques dus notamment à leur âge et leur dépendance. La CEDH note que le centre de rétention où était retenue la famille compte parmi ceux « habilités » à recevoir les familles en vertu d’un décret et que les organisations non gouvernementales ont reconnu que les conditions matérielles (chambres spécialement équipées, mise à disposition de matériel de puériculture) ne posaient pas de problème au centre. Cependant, la Cour constate que ce centre, construit en bordure immédiate des pistes de l’aéroport, est exposé à des nuisances sonores particulièrement importantes ayant conduit au classement du terrain en « zone inconstructible ». La Cour observe que les enfants, pour lesquels des périodes de détente en plein air sont nécessaires, sont ainsi particulièrement soumis à ces bruits d’une intensité excessive. La Cour considère, en outre et sans avoir besoin de se référer au certificat médical produit par les requérants, que les conditions d’organisation du centre ont pu avoir un effet anxiogène sur l’enfant des requérants. Enfin, celui-ci a subi en permanence les annonces délivrées par les haut-parleurs du centre. Selon la Cour, de telles conditions, bien que nécessairement sources importantes de stress et d’angoisse pour un enfant en bas âge, ne sont pas suffisantes, dans le cas d’un enfermement de brève durée et dans les circonstances de l’espèce, pour atteindre le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3. La Cour est convaincue, en revanche, qu’au-delà d’une brève période, la répétition et l’accumulation de ces agressions psychiques et émotionnelles ont nécessairement des conséquences néfastes sur un enfant en bas âge, dépassant le seuil de gravité précité. Dès lors, l’écoulement du temps revêt à cet égard une importance primordiale au regard de l’application de ce texte. En l’espèce, la Cour estime que cette brève période a été dépassée s’agissant de la rétention d’un enfant de quinze mois. S’il est exact, comme le fait valoir le Gouvernement, que les autorités ont, dans un premier temps, mis en œuvre toutes les diligences nécessaires pour exécuter au plus vite la mesure d’expulsion et limiter le temps d’enfermement, il n’en demeure pas moins qu’il n’a été mis fin à la rétention que le 24 octobre 2014 alors même que la Cour avait indiqué au Gouvernement, dès le 20 octobre 2014, qu’il était souhaitable de ne pas renvoyer les requérants vers la Fédération de Russie pour la durée de la procédure devant elle et, partant, qu’aucune expulsion n’était possible. La Cour regarde comme trop longue pour un jeune enfant cette durée de quatre jours qui s’ajoute à une première période de privation de liberté de cinq jours, cet élément devant en outre être apprécié en tenant compte du fait que le Gouvernement n’a pas prouvé qu’il était impossible durant ce délai de recourir à une solution alternative. Ainsi, compte tenu de l’âge de l’enfant des requérants, de la durée et des conditions de son enfermement dans le centre de rétention, la Cour estime que les autorités ont soumis cet enfant à un traitement qui a dépassé le seuil de gravité exigé par l’article 3 de la Convention. Partant il y a eu violation de cet article à l’égard de l’enfant des requérants. Ensuite, concernant la violation alléguée de l’article 5§§1 et 4 de la Convention, la CEDH considère que lorsqu’un enfant est présent, la privation de liberté doit être nécessaire pour atteindre le but poursuivi, à savoir pour assurer l’expulsion de la famille. Dans une affaire similaire, la CEDH a conclu à la violation de l’article 5 § 1 après avoir notamment constaté que les autorités françaises n’avaient pas recherché si le placement en rétention administrative était une mesure de dernier ressort à laquelle aucune alternative ne pouvait se substituer. L’enfant accompagnant ses parents placés en rétention est de facto privé de liberté et la Cour énonce qu’une telle situation n’est pas, dans son principe, contraire au droit interne. Elle souligne néanmoins que le cadre dans lequel se trouvent alors les enfants est source d’angoisse et de tensions pouvant leur être gravement préjudiciable. Dans de telles conditions, la Cour juge que la présence en rétention d’un enfant accompagnant ses parents n’est conforme à l’article 5 § 1 f) qu’à la condition que les autorités internes établissent qu’elles ont recouru à cette mesure ultime seulement après avoir vérifié concrètement qu’aucune autre moins attentatoire à la liberté ne pouvait être mise en œuvre. En l’espèce, la Cour n’est pas convaincue que la seule circonstance que les requérants ont refusé d’embarquer à bord des vols vers la Russie, suffisait à caractériser un risque de fuite tel que le placement en rétention s’imposait. Elle ne comprend notamment pas pourquoi il n’était pas possible de maintenir la mesure d’assignation à résidence à laquelle les requérants étaient soumis avant leur refus d’embarquer et qu’ils avaient jusqu’alors scrupuleusement respectée. Au vu des éléments à sa disposition, la Cour estime que les autorités internes n’ont pas recherché de façon effective si le placement en rétention administrative de la famille était une mesure de dernier ressort à laquelle aucune autre moins coercitive ne pouvait se substituer et ce en violation de l’article 5 § 1 de la Convention à l’égard de l’enfant des requérants. Par ailleurs, la CEDH rappelle que la loi française ne prévoit pas que les mineurs puissent faire l’objet d’une mesure de placement en rétention et qu’elle en avait déduit que les enfants accompagnant leurs parents tombaient dans un vide juridique qui ne leur permettait pas d’exercer le recours en annulation, ouvert à leurs parents, devant le juge administratif et qui ne permettait pas plus au juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la légalité de leur présence en rétention. La Cour admet que les juridictions internes, bien que saisies uniquement par les parents, ont eu égard à la présence de l’enfant. Elle observe cependant que le juge des libertés et de la détention s’est déclaré incompétent pour se prononcer sur la question de la rétention de l’enfant et que la cour d’appel s’est bornée à dire que le placement en rétention était préférable pour l’enfant à l’engagement de poursuites pénales, pour soustraction à l’exécution d’une mesure d’éloignement, contre ses parents et à son placement dans un foyer habilité, sans rechercher si une mesure moins coercitive que la rétention de la famille aurait pu être prise. Dans de telles circonstances, la Cour ne peut considérer que l’enfant des requérants a pu bénéficier d’un recours au sens de l’article 5 § 4. Enfin, la Cour examine si le placement en rétention de la famille, pour une durée telle qu’en l’espèce, s’avérait nécessaire au sens de l’article 8 § 2 de la Convention, c’est-à-dire justifié par un besoin social impérieux et, notamment, proportionné au but légitime poursuivi. A cet égard, les autorités internes doivent ménager un juste équilibre entre la protection des droits fondamentaux (notamment l’intérêt de l’enfant) et les impératifs de la politique d’immigration des Etats. La Cour considère qu’une mesure d’enfermement doit être proportionnée au but poursuivi par les autorités, à savoir l’éloignement. Il ressort en effet de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu’il s’agit de familles, les autorités doivent, dans leur évaluation de la proportionnalité, tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. À cet égard, la Cour souligne qu’il existe actuellement un large consensus – y compris en droit international – autour de l’idée que dans toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur doit primer. La CEDH note que la CNDS et le Défenseure des enfants (devenus le Défenseur des droits) se sont prononcées, à plusieurs reprises, contre la privation de liberté d’enfants n’ayant pas commis d’infraction pénale, accompagnés ou non, au nom du respect de leur intérêt supérieur. Selon elles, lorsque les parents de jeunes mineurs font l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière, l’assignation à résidence ou, si celle-ci s’avère impossible, la location de chambres d’hôtel devrait être envisagée en priorité. La Cour rappelle que dans une affaire similaire elle avait conclu que les requérants avaient subi une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de leur vie familiale après avoir relevé trois éléments. D’une part, les requérants ne présentaient pas de risque particulier de fuite nécessitant leur rétention. D’autre part, aucune alternative à la rétention n’avait été envisagée. Enfin, les autorités n’avaient pas mis en œuvre toutes les diligences nécessaires pour exécuter au plus vite la mesure d’expulsion et limiter le temps d’enfermement. En l’espère, la Cour considère le refus d’embarquement ne suffit pas à caractériser la réalité du risque de fuite et l’impossibilité de trouver une solution alternative à la rétention. S’il démontre, à l’évidence, l’absence de volonté des requérants d’être expulsés du territoire français, il n’établit pas leur volonté de se soustraire aux autorités. Ainsi, l’enfermement dans un centre n’apparaissait pas justifié par un besoin social impérieux. La Cour observe que d’autres solutions, telles que l’assignation dans un hôtel, assortie, comme le suggèrent les requérants, d’un pointage régulier auprès d’un commissariat, n’ont pas été envisagées. La Cour souligne qu’alors qu’aucune expulsion n’était plus possible après l’application de la mesure provisoire indiquée par la CEDH le 20 octobre 2014, les autorités internes ont tardé à ordonner la remise en liberté des requérants, intervenue que quatre jours plus tard. Selon la Cour, en l’absence de risque particulier de fuite, la rétention, pour une durée de neuf jours, apparaît disproportionnée par rapport au but poursuivi. En conséquence, les requérants ont subi une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de leur vie familiale en violation de l’article 8 de la Convention. Le même jour, la CEDH a condamné la France dans 4 affaires similaires pour violation de l'article 3 en raison de la rétention des enfants en bas âge accompagnant leurs parents placés en rétention : - affaire A.B. c. France, n° 11593/12, enfant de 4 ans, 18 jours de rétention en 2012 (même centre) - affaire R.C. et V.C c. France, n° 76491/14, enfant de 2 ans, 10 jours de rétention en 2014 (même centre) - affaire R.M. c. France, n° 33201/11, enfant de 7 mois, 7 jours de rétention en 2011 (même centre) - affaire A.M. c. France, n° 24587/12, enfants de 4 mois et 2 ans et demi, 8 jours de rétention en 2012 au centre de rétention Metz-Queleu "habilité" à recevoir les familles En revanche, contrairement à la présente affaire et celles de R.M. et A.B, la CEDH n'a pas conclu à la violation des articles 5§1, 5§4 et 8 de la Convention dans les affaires A.M et R.C et V.C. |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-164684 |
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