Résumé :
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Monsieur A a été embauché en qualité de charpentier soudeur au sein d’une société de construction navale. Dès le début de son contrat de travail, il indique être régulièrement victime de propos à caractère raciste de la part de ses collègues de travail.
En novembre 2011, il découvre sur le tableau d’affichage la photographie d’un primate avec son prénom manuscrit. Suite à cet agissement, il sera en arrêt maladie et finira par démissionner en invoquant la discrimination dont il s’estime victime. La société explique au Défenseur des droits avoir respecté son obligation de prévention et de sécurité puisqu’elle a condamné cet acte via une note au personnel et aurait effectué une enquête. Toutefois, les éléments présentés par la société apparaissent insuffisants au regard de son obligation de résultat. Le harcèlement moral en lien avec l’origine est donc établi et la démission doit être requalifiée en licenciement nul car fondée sur un motif discriminatoire.
Par décision MLD-2013-98, le Défenseur des droits a décidé de recommander à la société de réparer le préjudice du réclamant et le cas échéant de présenter ses observations devant le Conseil de Prud’hommes de Saint-Nazaire. Par jugement rendu par la section départage en date du 16 décembre 2013, le Conseil de Prud’hommes de Saint-Nazaire a considéré que la démission devait être requalifiée en licenciement nul relevant la récurrence des propos racistes, la carence de l’employeur en matière de prévention caractérisant des faits de harcèlement moral. Le Conseil de prud’hommes a condamné la société à payer au réclamant environ 27 000 € de dommages et intérêts. La société a interjeté appel de ce jugement. Le Défenseur des droits décide de présenter ses observations devant la Cour d’appel de Rennes.
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Suivi de la décision :
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Le 16 décembre 2013, le conseil de prud’hommes de Saint-Nazaire, en sa formation de départage, a requalifié la démission de Monsieur A. en licenciement nul sur le fondement du harcèlement moral dont il a été victime et lui a octroyé environ 27.000 € de dommages et intérêts. La société a interjeté appel de cette décision.
Par décision 2014-105, le Défenseur des droits décide de présenter ses observations devant la Cour d'appel de Rennes. Lors de l’audience au cours de laquelle un représentant du Défenseur des droits a présenté ses observations, il a particulièrement insisté sur le fait qu’un seul acte portant particulièrement atteinte à la dignité d’un salarié en raison d’un critère discriminatoire pouvait constituer un harcèlement discriminatoire au regard des dispositions combinées de la directive 2000/43 et de la loi du 27 mai 2008. Il convient de préciser que le conseil du salarié n’avait pas soulevé ce fondement.
La Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt novateur, du 10 décembre 2014, a considéré (page 10) « qu’à la lumière des dispositions de la directive 2000/43 et de la loi de 2008, l’article L.1152-1 du code du travail doit être interprété en ce sens que lorsque le harcèlement moral prend la forme d’une discrimination, il peut être constitué même lorsque ce fait indésirable est unique (en l’espèce la photographie du primate) ».
L’arrêt indique par la suite que « cet incident du 18 novembre 2011 (la photo) a eu pour objet et en tout cas pour effet avéré de porter atteinte à la dignité de Monsieur A. et de créer pour lui un environnement intimidant, hostile, dégradant et humiliant. La société n’est à l’évidence pas en mesure de prouver qu’un tel acte ne constitue pas un harcèlement moral discriminatoire. Par conséquent, l’affichage public, de la photographie incriminée, sur laquelle a été portée la mention du prénom de Monsieur A., s’analyse à lui seul, en un harcèlement moral discriminatoire, dont la société tenue d’une obligation de sécurité de résultat doit répondre ».
La Cour d’appel confirme ensuite le jugement du CPH sur la requalification de la démission en licenciement nul et le montant des dommages-intérêts alloués.
Cet arrêt de Cour d’appel est extrêmement novateur en ce qu’il considère qu’un acte unique peut constituer un harcèlement moral quand ce dernier porte particulièrement atteinte à la dignité du salarié. Jusqu’à présent, la jurisprudence rendue exigeait toujours pour caractériser le harcèlement moral, la répétition des actes. Il est également intéressant car il reconnaît en plus la notion de harcèlement moral discriminatoire quand le harcèlement moral est lié à un critère de discrimination prohibé.
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