Document public
Titre : | Décision MLD-2014-002 du 18 mars 2014 relative à des réclamations portant sur la limite d'âge de 57 ans opposée à des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (ICNA) ayant conduit à leur mise à la retraite d'office |
Accompagne : | |
Auteurs : | Défenseur des droits, Auteur ; Chrysoula Malisianou, Auteur ; Fonction publique, Auteur |
Type de document : | Décisions |
Année de publication : | 18/03/2014 |
Numéro de décision ou d'affaire : | MLD-2014-002 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Âge [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Retraite [Documents internes] Observations devant une juridiction [Documents internes] Observations devant une juridiction avec décision rendue [Documents internes] Position non suivie d’effet |
Résumé : |
Le Défenseur des droits a été saisi par des anciens ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne qui ont été mis à la retraite d’office pour avoir atteint la limite d’âge de 57 ans, sans possibilité de report, posée à l'article 3 de la loi n° 89-1007 du 31 décembre 1989 relative au corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne, dans sa rédaction applicable à la date des faits.
Au terme de son enquête et des échanges contradictoires intervenus dans le cadre des instances en cours devant le Conseil d’Etat, le Défenseur des droits considère que si l’objectif d’assurer la sécurité du transport aérien induisant des sujétions et responsabilités particulières aux ICNA et nécessitant une très bonne condition physique doit être considéré comme légitime, la limite d’âge de 57 ans n'apparaît pas comme une mesure nécessaire et appropriée pour sa réalisation, ni une exigence essentielle et déterminante proportionnée. La possession d’une licence européenne valide et l’aptitude médicale à l’exercice des fonctions d’ICNA constatée à l’issue du contrôle obligatoire effectué tous les deux ans, devant suffire à éliminer tout risque pouvant mettre en péril la sécurité aérienne. Le Défenseur des droits considère ainsi que cette limite d’âge va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi de sécurité aérienne, sans que les compensations prévues pour en atténuer les effets n’apparaissent suffisantes et de nature à justifier la discrimination en raison de l’âge. Dès lors, il estime que le caractère général et absolu de l’article 3 de la loi du 31 décembre 1989 est incompatible avec les stipulations de la Directive 2000/78 et que, par suite, cet article institue une discrimination prohibée. Les décisions individuelles de refus de prolongation d’activité fondées sur ce texte étant elles-mêmes illégales. Il décide de présenter ses observations devant le Conseil d’Etat. |
Date de réponse du réclamant : | 04/04/2014 |
Suivi de la décision : |
Le Conseil d’Etat a rejeté les requêtes des réclamants ICNA, en considérant que ces derniers n’avaient été victimes d’aucune discrimination et que le texte contesté n’instituait pas de discrimination prohibée. En effet, par une décision du 4 avril 2014 (n° 362785 et suivants), émanant de la formation de jugement la plus solennelle du Conseil d’Etat - l’Assemblée du contentieux - le Conseil d’Etat a écarté les arguments qui avaient été retenus par la Cour administrative d’appel de Marseille dans son arrêt du 17 juillet 2012 (n°11MA00002) qui avait retenu la discrimination dans ce dossier. Ainsi, tout en reprenant le même cadre juridique que celui retenu par le Défenseur des droits, issu de la Directive 2000/78 précitée et de la jurisprudence y afférente, le Conseil d’Etat n’en n’a pas fait la même application aux cas d’espèces. Ainsi, après avoir, comme le Défenseur, considéré que l’objectif de sécurité poursuivi par la mesure contesté était légitime, il a estimé que la limite d’âge contestée était proportionnée pour atteindre cet objectif. Le Conseil d’Etat a, dans ce cadre, notamment estimé que le vieillissement affectait les capacités physiques et que « l’institution d’une règle générale permet d’éviter que soient encore en fonction des agents dont les aptitudes seraient amoindries par l’âge ». En outre, il a considéré que les contrôles médicaux auxquels sont soumis les ICNA tous les 2 ans sont insuffisants, de tels examens n’étant, selon son analyse, pas complets et de nature à vérifier tous les paramètres liés notamment au stress généré par l’exercice de leurs fonctions. Pour le Conseil d’Etat, de tels « examens ne sont ni destinés, ni adaptés à l’évaluation de ces facultés (d’attention, de concentration et de récupération) et de la charge mentale qui y est associée », sans toutefois indiquer les données sur lesquelles il se fonde pour tirer une telle conclusion alors, qu’au surplus, il ressort de la jurisprudence communautaire que le fait de retenir que des contrôles médicaux sont insuffisants pour apprécier l’aptitude de candidats à certaines fonctions ne peut permettre de considérer comme fondées des mesures critiquées pour discrimination. En outre, il convient de rappeler, que pour les pilotes d’avion qui sont soumis aux mêmes normes médicales et aux mêmes suggestions liées au stress que les ICNA, ils peuvent, sous réserve de la reconnaissance de leur aptitude physique, exercer leurs fonctions jusqu’à 65 ans, les tests médicaux étant alors considérés comme suffisants à apprécier leur aptitude à travailler jusqu’à cet âge. Ainsi, dans un cas, pour les pilotes, les effets du stress sur leur travail pourrait être mesuré, mais cela ne serait pas possible pour les ICNA, ce qui paraît d’ailleurs curieux au regard de l’objectif de sécurité que les examens médicaux sont censés protéger tout au long de leur carrière…. Par ailleurs, le Conseil d’Etat n’a pas considéré la limite d’âge contestée comme disproportionnée alors, pourtant, qu’il n’y a pas de possibilité effective de reclassement des ICNA dans un autre corps et que dans la fonction publique, la limite d’âge générale est aujourd’hui de 65 ans, ce qui fait 8 ans de différence par rapport aux ICNA (ce qui est conséquent). Aussi, la limite d’âge de 57 ans est loin d’être la plus répandue dans les autres Etats européens, au sein desquels, d’ailleurs, il n’existe pas d’harmonisation des règles en la matière. C’est pourquoi, au regard de l’ensemble de ces éléments, la décision d’Assemblée du Conseil d’Etat est largement critiquée par la doctrine (cf., notamment, Mme Gabrielle HEBRARD, « La limite d’âge des « aiguilleurs du ciel » passe le cap du Conseil d’Etat sans convaincre », Revue des droits de l’homme, 25 juin 2014 ; M. Didier GIRARD, « La compatibilité des discriminations fondées sur l’âge des «travailleurs» avec le droit de l’Union européenne », Revue générale du droit, avril 2014). Ainsi, les réclamants ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg et la Commission européenne à Bruxelles. Le Défenseur des droits pourrait envisager de suivre les réclamants dans le cadre de ces nouveaux contentieux. |
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